mercredi 29 mai 2013

“L’affaire Chebeya de Thierry Michel : Un sujet sensible et dangereux ?




  

« Mobutu, Roi du Zaïre », « Congo River », « Katanga Business », « L’affaire Chebeya, un crime d’Etat ?», «L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi »… Les films de Thierry Michel, réalisateur belge, sur la République démocratique du Congo ne se comptent plus. Et ses documentaires dérangent souvent les autorités congolaises, particulièrement celui qui évoque l’assassinat de Floribert Chebeya, militant des droits de l’homme et président de l’ONG La Voix des Sans-Voix, retrouvé mort dans son véhicule le 2 juin 2010. Le temps d’un entretien, le réalisateur belge a bien voulu expliquer son addiction pour  ce pays. Il fait des révélations sur la mort de Chebeya dont les meurtriers courent toujours. Exclusif !

 Pourquoi cette fascination pour de la RD Congo ?

C’est une passion pour l’histoire d’un grand pays africain francophone qui nous est accessible. C’est une ancienne colonie belge. L’histoire est donc plus proche de la Belgique qu’elle ne peut l’être pour d’autres pays comme la France. Et c’est un pays qui a connu des tumultes invraisemblables depuis plus de vingt ans, avec la chute du dictateur Mobuto Sese Seko, les deux guerres qui ont suivi l’accession au pouvoir de Laurent Désiré Kabila, son assassinat et l’arrivée de son fils au pouvoir. Aujourd’hui, il y a une nouvelle guerre à l’est, sans oublier l’incroyable richesse de ce pays qui est un scandale géologique, un véritable coffre-fort de matières premières pour l’humanité. Ainsi que la guerre économique sans merci que vivent les puissances du monde qu’elles soient orientales ou occidentales. Cela va de la Chine aux Etats-Unis. Il y a donc beaucoup de facteurs qui donnent un aspect passionnant à l’histoire de ce pays. Et j’en suis devenu le chroniqueur même si je réalise des films sur d’autres pays. Mais, c’est un lieu privilégié où je fais des films quand je peux le faire.

 N’empêche, le Congo est aussi un terrain difficile pour le réalisateur belge que vous êtes…

Effectivement. Pour la deuxième fois de ma carrière, j’ai été arrêté dans ce pays, expulsé puis interdit de visa.

Justement, qu’est-ce qui vous a motivé à faire un film sur un sujet aussi sensible que l’affaire Chebeya ?

Je l’avoue, c’est un sujet sensible et dangereux. Mais, journalistiquement c’était intéressant. C’est ce qui m’a motivé à faire ce film. De plus, il était extrêmement important de se rendre qu’en RD Congo où, sur une même législature, c’est-à-dire durant les cinq dernières années qu’a passées au pouvoir le président Joseph Désiré Kabila, huit journalistes avaient été assassinés. C’est beaucoup trop. Et au-delà de ces huit journalistes, voilà qu’on assassinait le leader de la société civile, le pionnier des fondateurs des organisations de défense des droits de l’homme en RD Congo qui avait courageusement déjà affronté la dictature de Mobuto, et était en butte avec l’hostilité du régime. En tant que défenseur des droits de l’homme, il se devait de dénoncer tous les manquements à l’état de droit qui pouvaient se passer dans ce pays. Pour moi, Floribert Chebeya est le Martin Luther King de la cause congolaise. Je le connaissais bien et j’avais beaucoup de respect pour lui. Je ne pouvais donc pas ne pas faire un film sur sa fin tragique et surtout sur ce procès historique qui a eu lieu en RD Congo, le deuxième le plus important de l’histoire post indépendantiste de ce pays, après bien sûr celui des assassins du Président Laurent Désiré Kabila. Ce procès a duré huit mois et a eu un retentissement international invraisemblable. Cette histoire est en même temps une tragédie et une comédie politique. Durant ce procès, on dit qu’on cherche la vérité, les assassins et les commanditaires du crime et en même temps, on ne les cherche pas tout à fait parce qu’il y a des intouchables qui sont dans l’impunité et ne peuvent pas être poursuivis à cause de leur statut, de leur réseau et de leur puissance militaire.

Le film plonge le spectateur au cœur du procès des présumés auteurs du crime et leurs commanditaires. Ça a été facile pour vous d’obtenir l’autorisation de filmer au tribunal militaire ?

J’avais un visa de résident permanent et une autorisation de filmer. J’avais aussi une accréditation de journaliste permanent. Je n’avais donc pas une autorisation spéciale. Au niveau du tournage, je l’avoue, j’ai eu une grande liberté. Ce qui a été étonnant car une fois le film fait, alors qu’il devait être projeté à l’invitation de la société civile congolaise et des chancelleries occidentales, j’ai été arrêté peu après mon arrivée (à Kinshasa) et expulsé du pays. Mon statut de résident a même été annulé. C’était en juillet 2012. Et quand je suis rentré en Belgique, j’ai eu droit à un procès intenté contre moi par le Chef de la police congolaise, le Général John Numbi. Naturellement, il a perdu parce que nous sommes dans un Etat de droit en Occident. Il ne pouvait pas évoquer son droit à l’image pour empêcher la diffusion d’un film sur un assassinat ciblé dans un pays d’Afrique. J’ai donc été victime de ces atteintes à la liberté de la presse et d’expression.

  

N’est-ce pas paradoxal qu’on vous laisse filmer le procès et qu’après on interdise le film ? 
Cela paraît effectivement paradoxal mais, en fait, ça ne l’est pas. Parce que la situation a changé. J’ai filmé le procès avant les élections. Et le procès était sous une pression invraisemblable. Si bien que les autorités congolaises étaient obligées de le faire, et, en plus, public. A chaque audience, il y avait des représentants chancelleries occidentales. Il y avait donc une exigence de la communauté internationale qui était prête à aider le pays, à soutenir le fait que le Sommet international de la Francophonie se tienne à Kinshasa (ndlr, il s’agit du XIVème Sommet qui a eu lieu du 13 au 14 octobre 2012) mais avec un minimum de respect des droits de l’homme. Il y avait donc des conditionnalités. En ce moment-là, les autorités congolaises ont voulu donner une bonne image. En même temps, le procès a révélé de nombreux mensonges d’Etat, entre autres des détournements, des falsifications de preuves, de listings téléphoniques qui ont altéré l’image du pouvoir et de la police. Donc une fois le film fait, ils se sont rendu compte qu’il se retournait contre eux, que les lacunes du procès avaient été mises en avant pas, par le film mais par la procédure. Et d’autres choses, une fois les élections terminées, les données avaient un peu changé. Le pouvoir les avait gagnées, pour les cinq prochaines années. Il n’avait donc plus de garantie à donner à la communauté internationale. Du coup, les cartes ont changé de mains.


Au-delà du film, pensez-vous sincèrement que la vérité sur la mort de Floribert Chebeya éclatera au grand jour ?

J’ai essayé de contribuer à la manifestation de cette vérité. Puisque j’ai continué les investigations une fois le film terminé. Et j’ai réussi à retrouver un des témoins clés de cette affaire, en l’occurrence le Major Paul Mwilambwe l’un des trois militaires en fuite à l’étranger et qui est considéré comme l’un des assassins de Floribert Chebeya, et qui a été condamné par contumace à la peine capitale par la cour militaire. Il a donné son témoignage. En effet, il a dit qu’il n’était pas un exécuteur mais plutôt un témoin. Il a vu comment Floribert Chebeya a été étouffé par des sacs en plastique avec du scotch pour l’empêcher de respirer. Il a eu une agonie assez longue de 25 minutes. Il a expliqué aussi comment le corps a été transporté et déposé là où on l’a trouvé. Il a également dit comment son chauffeur a été tué et où son corps a été enterré, pour faire disparaître les preuves, il a donné de nombreux détails. C’est un homme des services de la sûreté qui a été formé pour le compte de la police congolaise par les services du président Moubarak en Egypte. Tous ces éléments, je les ai empilés et remis à la justice congolaise. Et j’avoue que je suis très surpris qu’on n’ait rien pris en compte dans ce qu’il a dit. On n’a même pas été voir la parcelle de terrain du Général Numbi où le corps du chauffeur a été enterré et dont il a donné le plan précis. En six mois, il n’y a même pas eu la moindre tentative d’aller vérifier cela. Ce sont des signes qui montrent qu’il y a une volonté d’empêcher la vérité de surgir et que justice se fasse. Donc, on a de grands doutes même si les avocats espèrent encore que le droit se dise au Congo. Si ce n’est pas le cas, ils devront aller devant les instances internationales. Ce sera l’ultime recours. Aujourd’hui, il y a peu de grands criminels d’Etat qui échappent encore aux juridictions internationales. Où se trouvent Laurent Gbagbo et Jean Pierre Bemba ? Ils sont en prison en Hollande. Je pense qu’à vouloir étouffer la vérité, on ne fait que retarder les échéances où la justice pourra rendre son honneur, sa dignité aux familles des victimes, qui non seulement ont perdu un être cher, mais aussi ont été l’objet de tracasseries. Les familles de Floribert Chebeya et de son chauffeur ont été contraintes à fuir en exil pour se protéger.

La fin du film semble ouverte. Doit-on s’attendre à une suite ?

C’est ce que j’ai fait avec l’interview du Major Mwilambwé. J’ai rendu le son public mais pas l’image. Il y a donc une suite mais elle n’est pas dans le film. Elle est plutôt journalistique.


Et pour l’écran ?
Ça demande trop de moyens et beaucoup de risques financiers. Je me suis endetté pour faire ce film et, on a des obstacles. Parce qu’il n’est pas diffusé sur beaucoup de chaînes de télévision. Les chaînes françaises ne l’ont pas fait. Et TV5 Monde, vu l’interdiction du film en RD Congo, n’ose pas le diffuser. CFI (Canal France International) non plus. C’est donc très difficile. Malheureusement, le cinéma demande des moyens économiques pour réaliser des oeuvres de ce genre. Quand il n’y a pas le budget, il n’y a pas le budget. On le fait avec la plume, le micro et éventuellement l’Internet.

Est-ce pour cela que votre prochain film sur le Moïse Katumbi (Gouverneur du Katanga et Président du TP Mazembé) est moins dérangeant ?

Moins dérangeant ? On le verra quand le film sortira. C’est le film qui était prévu et non celui sur l’affaire Chebeya. C’est l’événement qui a créé le film sur Chebeya. J’ai donc dû interrompre le documentaire sur Katumbi pour faire celui sur Chebeya. Cela dit, je ne crois pas qu’il soit moins dérangeant que les autres. La preuve, si vous allez sur Internet, vous trouverez des menaces me concernant. Notamment, la Voix des jeunes Katangais qui annoncent qu’ils vont empêcher par tous les moyens la diffusion du film. Il y a eu des intimidations sur les gens qui ont pris la parole dans le film. Il en y a d’autres qui sont des repentis. Ce film n’est pas une ode à la gloire du gouverneur. Il essaie plutôt de montrer ses systèmes, sa réussite économique, sportive, médiatique, financière et aussi des choses qui sont moins claires et parfois des formes d’abus de pouvoir. Je ne suis pas jamais complaisant avec le pouvoir. Donc ne je ne vais pas plus faire plaisir au pouvoir avec ce film que les précédents.

Justement, comment a-t-il réagi ?

Pas trop bien. Mais, je pense qu’il a cette capacité d’accepter la critique que les autres n’ont pas. Il peut mal vivre la critique dans un premier temps. Parce qu’un homme du pouvoir en Afrique n’aime pas être critiqué. Mais, après s’il prend bien conscience du statut d’un vrai homme d’Etat, il doit accepter d’être l’objet de critique et de débat démocratique.


Réalisée à Ouagadougou par Yacouba Sangaré pendant le Fespaco2013

mardi 21 mai 2013

« Français et langues nationales dans les cinémas d’Afrique noire francophone :





« Français et langues nationales dans les cinémas d’Afrique noire francophone :
De l’esthétisation du ressentiment à la liquidation de la blessure »

  


            Cinquante ans après l’acquisition des indépendances, la problématique de la coexistence du français et des langues nationales en Afrique de l’Ouest est loin d’être désuète. Même si de nombreux observateurs s’accordent aujourd’hui à reconnaître que l’exclusion du français des institutions scolaire et administrative de l’Afrique postcoloniale n’est plus une thèse qui résiste à l’épreuve de la critique, force est de reconnaître que les controverses relatives à la nature de la coexistence de ces langues demeurent encore d’actualité et font toujours l’objet de chaudes discussions. Comment faut-il ménager cette coexistence ? Quel statut occupe-t-elle dans la pratique langagière quotidienne ? S’il n’est pas de trop d’user de l’allégorie du mariage pour parler de cette problématique linguistique, on pourrait se demander s’il s’agit de mariage à chambre séparée ou de mariage tout court entre français et langues nationales.

Ce débat n’est pas seulement l’apanage des linguistes et des politiques. Il est aussi l’objet d’une préoccupation dans la sphère de la création artistique dont le rapport à la société est sans équivoque. Si l’art use de la langue comme moyen d’expression, il ne peut être exempt des problématiques linguistiques qui travaillent la société qui le génère. D’une manière ou d’une autre, il en est informé. Il porte les marques du réel parce qu’il est une modélisation du réel ; il est une mimesis, comme dirait Aristote. Ce faisant, l’art modélise nécessairement la réalité linguistique de son contexte d’élaboration. C’est cette fictionnalisation de la problématique de la coexistence linguistique en Afrique de l’Ouest qui nous intéresse ici.

Autrement dit, quel est le régime de cohabitation linguistique en vogue dans la création artistique africaine et notamment dans la cinématographie d’Afrique noire francophone ? Comment les cinéastes africains francophones réfractent-ils la problématique de la coexistence du français et des langues nationales dans leurs œuvres ?

Il nous semble qu’une observation attentive de la dimension linguistique des productions cinématographiques d’Afrique noire francophone, de 1955[1] à nos jours, configure le rapport du français aux langues nationales suivant un parcours qui va du ressentiment à la liquidation de la blessure. En d’autres termes, le rapport du français aux langues nationales dans la cinématographie d’Afrique noire francophone, du point de vue historique, a d’abord été l’expression d’une vengeance contre la langue française par des détours esthétiques avant d’aboutir à une intégration curative de la blessure coloniale.

En effet, la volonté de reterritorialisation du cinéma en Afrique n’a pas été sans le souvenir de la blessure ontologique causée par la colonisation et le désir de se venger de la langue française considérée par le colonisé comme étant le symbole de la présence continue du colonisateur. Ce désir de vengeance a conduit à une sorte d’anthropophagie linguistique qui s’assortit à l’anthropophagie culturelle dont parle Walter Moser, suivant les étapes de la mise à mort, de l’incorporation, de l’assimilation et de la productivité[2]. C’est sous ce rapport anthropophagique que nous analyserons le processus de cinématisation[3] de la problématique linguistique en Afrique noire francophone.

I.                   L’obstacle linguistique du cinéma africain

Pour rendre compte de la prégnance du phénomène linguistique dans le cinéma d’Afrique noire francophone, il convient tout d’abord de rappeler brièvement le contexte d’émergence de ce cinéma et les missions premières qu’il s’est assigné.

I. 1.     Le cinéma africain : un cinéma subversif

Né dans le contexte des mouvements de protestation contre la domination coloniale, le cinéma africain francophone est d’abord l’œuvre d’un groupe d’intellectuels noirs. En 1955, Paulin Soumanou Vieyra et ses camarades décidèrent, au bord de la Seine, de mettre en image leurs dures conditions d’existence à Paris, en porte-à-faux avec leur paisible enfance jadis en Afrique. Ce film, Afrique-sur-Seine - tourné en français - est ainsi considéré comme le premier de l’Afrique noire francophone. Toutefois, le cinéma d’Afrique francophone ne prendra véritablement son envol qu’à la faveur de l’avènement des indépendances. Auparavant, selon le décret Laval de mars 1934, toute prise de vue dans une colonie d’Afrique occidentale française devait être soumise à l’autorisation du lieutenant gouverneur de ladite colonie. De toute évidence, cette disposition coloniale ne permettait pas aux Africains d’exprimer clairement leur point de vue au moyen de la caméra.

Ce n’est qu’en 1963 que Sembène Ousmane réalise Borom sarret, son premier court métrage. Borom sarret allait donner le ton d’un cinéma véritablement africain, un cinéma de contestation contre les images du nègre sauvage, docile et servile que véhiculait le cinéma colonial à des fins propagandistes pour justifier la mission dite civilisatrice. Si dans Borom sarret, tout comme plus tard dans Le Mandat en 1978, Sembène Ousmane dénonce les fractures sociales créées par l’entreprise coloniale en Afrique, l’exploitation de la classe populaire par la classe dominante, dans La Noire de… réalisé en 1966, il s’érige contre l’esclavage et l’aliénation de la dignité humaine.

Cette option idéologique de la dénonciation du pouvoir colonial et de ses valets locaux,  de la réhabilitation de la dignité de l’Africain post-colonial et de la valorisation de sa culture, sera le credo des cinéastes africains réunis au sein de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI), créée en 1969. La FEPACI s’est en effet donné pour objectif fondamental d’œuvrer à l’épanouissement de la pratique cinématographique en Afrique, dans la perspective de la libération politique et culturelle du continent par la démonopolisation des grands et petits écrans.

Dans cette perspective, on comprend aisément pourquoi le cinéma africain francophone apparaît comme un cinéma subversif vis-à-vis du modèle occidental. Il s’agit en effet de l’expression d’une vive conscience, celle de l’Africain post-colonial déterminé à remettre en cause les stéréotypes coloniaux visant à faire de l’homme noir un être inférieur. Ce combat des cinéastes africains rencontrait de facto un obstacle linguistique. Dans quelle langue faut-il tourner les films pour répondre aux aspirations de la FEPACI ?

I. 2.     La problématique linguistique

Faire du français la langue du cinéma africain n’est-il pas une façon de pérenniser la domination coloniale ? La réhabilitation de la culture africaine ne passe-t-elle pas par la valorisation des langues africaines ? Comment peut-on prôner la libération politique et culturelle de l’Afrique dans une langue ignorée de la majorité des Africains ? Et pourtant, comment ignorer aussi les exigences commerciales quand on sait que l’Afrique noire francophone ne dispose d’aucune industrie cinématographique et que ses productions filmiques dépendent largement des financements extérieurs ? Tourner dans les langues africaines n’entraînerait-il pas la ghettoïsation et l’asphyxie des films africains ? Les comédiens africains disposent-ils tous de compétence linguistique en français pour assurer correctement leurs rôles dans cette langue, si tant est qu’elle présente l’avantage d’élargir l’audience du cinéma africain.

 Ces différentes interrogations révèlent à quel point le phénomène linguistique affecte le cinéma africain dans sa double dimension artistique et commerciale. Opérer un choix apparaît comme un dilemme tant la blessure de la colonisation est encore vivace dans les esprits et les exigences commerciales, d’autant plus pressantes que le souci de rentabilité et d’audience concurrence fortement l’idéal artistique.

Quel détour faut-il alors prendre pour concilier cette double exigence idéologique et commerciale ? Il est évident que le rapport à la langue française est perçu différemment selon les générations d’Africains au Sud du Sahara. La façon dont les productions cinématographiques africaines des premières heures, c’est-à-dire des indépendances aux années quatre-vingts, réfractent cette problématique linguistique n’est assurément pas identique à la perception actuelle des jeunes cinéastes qui évoluent dans une société où le statut même du français en tant que langue étrangère est sujet à débat.

En effet, si les crises sociopolitiques qui ont secoué l’Afrique durant les années quatre-vingts ont porté un coup aux idéaux panafricanistes qui avaient cours à l’avènement des indépendances, elles ont aussi réorienté la camera vers des problèmes beaucoup plus spécifiques aux différents Etats. On a ainsi assisté progressivement à l’émergence des cinémas nationaux dont les thématiques ne tarderont pas à étouffer les élans panafricanistes. De plus en plus, la cinématisation du vécu quotidien des peuples entraînera une modification du regard sur le français, jusqu’alors perçu comme étant exclusivement la langue du colonisateur. Le constat de l’immersion du français dans les habitudes langagières de nombreux Africains, consécutive à la relative croissance des taux de scolarisation et au brassage des ethnies du fait de la facilitation des moyens de transport et des mariages interethniques, va naturellement modifier le rapport à cette langue et déplacer la problématique linguistique du mode alternatif et exclusif vers des horizons multilinguistiques où la coprésence de plusieurs langues repose plutôt sur une relation de complémentarité. Alors que les cinéastes de la première génération empruntaient des détours divers pour réaliser le meurtre symbolique de la langue française, ceux de la nouvelle génération semblent s’approprier ce qui paraissait un problème en procédant tout simplement à sa liquidation.
                                                                                                                   
II.                De l’esthétisation du ressentiment

En abandonnant la littérature pour le cinéma, Sembène Ousmane justifiait son choix par l’efficacité expressive de l’image par rapport au mot. « Le cinéma, dit-il, est un moyen de communication plus efficace que la littérature, plus représentatif des modes d’interaction des publics africains que ne peuvent l’être les textes littéraires. Il permet de mettre en jeu à la fois les langues et formes textuelles les plus fonctionnelles dans les sociétés africaines, permet de valoriser plusieurs types d’espaces, d’expliciter leur signification et d’offrir à un public jadis marginalisés par la langue française d’innombrables occasions de se décrire et de s’observer selon des critères qu’il aura lui-même définis »[4].

Cet argumentaire, au-delà de la hiérarchisation axiologique qu’il établit entre littérature et cinéma en tant que mode d’expression, est un procès de la langue française dont le rôle de médiation est jugé non opérationnel dans le contexte africain, et surtout, au regard des missions de sauvegarde et de valorisation de la culture africaine que s’est assignées l’artiste. Du reste, les propos que Sembène Ousmane prête, par ailleurs, au personnage de Niakoro Cissé dans son roman Les Bouts de bois de Dieu n’expriment-ils pas assez clairement cette disgrâce du doyen des cinéastes africains vis-à-vis de la langue française ? Dans la réprimande qu’elle faisait à sa petite fille Ad’jibid’ji qui se rendait à l’assemblée des hommes, la vieille Niakoro s’exclamait en ces termes : « Apprendre, apprendre quoi ? (…) Je t’appelle, bon, il ne faut pas te déranger. Pourquoi, parce que tu apprends le toubabou[5]. A quoi ça sert le toubabou pour une femme ? Une bonne mère n’en a que faire. Dans ma lignée qui est aussi celle de ton père, personne ne parle le toubabou et personne n’en est mort ! Depuis ma naissance – et Dieu sait qu’il y a longtemps – je n’ai jamais entendu dire qu’un toubabou ait appris le bambara ou une autre langue de ce pays. Mais vous autres, les déracinés, vous ne pensez qu’à ça. A croire que notre langue est tombée en décadence ! » (P. 18.).

Ce passage traduit sans ambages l’aversion de la vieille Niakoro pour la langue française. Mais que peut-elle contre cette langue ? A-t-elle véritablement le pouvoir d’empêcher sa petite fille de parler le français ? Ad’jibid’ji était inscrite à l’école du Blanc, et déjà, elle lisait « Mamadou et Bineta [6]». Il nous semble que cette impuissance de Niakoro Cissé face au français est à l’image de celle que manifeste le romancier-cinéaste.

Si le refus de parler le français au profit des langues africaines est, de l’avis du romancier, une façon de mettre en décadence ou plus exactement de « tuer » la langue du colonisateur, alors le projet de Sembène Ousmane s’assortirait à une sorte d’anthropophagie linguistique qui tire sa source du ressentiment colonial. Mais la réalisation de ce projet est tout aussi impossible que la vieille Niakoro est incapable d’arrêter l’élan de sa petite fille Ad’jibid’ji. Comme un phénix, la mise à mort effective de la langue française paraît énigmatique, sinon impossible. L’adoption du cinéma au détriment de la littérature est loin de garantir la liquidation de la langue française en raison des exigences commerciales que le septième art impose et compte tenu du danger de ghettoïsation que pourrait encourir le cinéma africain tourné exclusivement dans des langues africaines. En d’autres termes, l’abandon du chemin de la littérature au profit des sentiers du cinéma n’est pas, dans la réalité, une solution aux préoccupations anthropophagiques de l’artiste sénégalais. Ce choix consiste plutôt en un détour artistique que Sembène Ousmane opère en vue de parvenir à la réalisation symbolique de son meurtre linguistique, ce qui est synonyme de revalorisation de sa culture bafouée. Il trouve dans le cinéma plus que dans la littérature les stratégies appropriées à l’expression artistique de son ressentiment et partant les moyens du retour à la condition première de sa culture.
Il convient de rappeler que la notion de détour, qui est occurrente de celle de retour, est une approche théorique élaborée par Edouard Glissant pour rendre compte de la situation  antillaise, dans son ouvrage intitulé Le Discours antillais. En appliquant cette démarche à l’examen de la quête identitaire de l’Africain francophone, Joseph Paré indique que « le détour accompagne cette obsession du retour chez les peuples qui ont été transplantés ou qui ont vécu dans leur histoire l’impérialisme culturel de l’occident. Le détour, poursuit-il, est la stratégie qui rend possible le retour… » [7]. Le détour est alors une ruse artistique permettant d’effectuer un retour, qui serait autrement impossible. Le retour à la situation précoloniale où le toubabou n’exerçait aucune domination sur les langues africaines étant pratiquement impossible, il faut alors emprunter des détours pour parvenir au point où l’on était avant le coup de force du colonisateur. C’est la transposition artistique de cette douloureuse réalité dont on veut se venger que nous appelons l’esthétisation du ressentiment. Et comme l’indique Dominique Château, l’esthétisation est « une manière plus ou moins volontaire de donner une teinture ou un sens esthétique à quelque chose qui ne l’a pas a priori. »[8]

            Sembène Ousmane n’est sans doute pas le seul cinéaste africain à user du détour pour rendre compte de son ressentiment vis-à-vis de la langue française. D’autres cinéastes du continent ont plus ou moins expérimenté des stratégies similaires dans le but de valoriser les langues africaines et de renforcer l’ancrage culturel de leurs œuvres. Parmi eux, on peut citer Souleymane Cissé, Cheikh Oumar Sissoko, Gaston Kaboré,  Idrissa Ouédraogo, etc.
            Il est à constater tout de même que cette expression détournée du ressentiment vis-à-vis de la langue française, ou le fait de revêtir son ressentiment d’une dimension esthétique en vue de lui offrir un exutoire, se manifeste différemment d’un cinéaste à l’autre. Le ressentiment peut varier d’intensité chez un même auteur, ou même se trouver entièrement liquidé, c’est-à-dire épuré en fonction des périodes et des thématiques abordées. Le rapport d’Idrissa Ouédraogo à la langue française dans Yaaba, par exemple, n’est pas le même que celui qu’il manifeste dans Cri de cœur (2003). De même, Dani Kouyaté dans Kéità ! l’héritage du griot (1995) n’entretient pas le même type de rapport au français que dans Ouaga Saga (2004). On pourrait citer aussi Fanta Régina Nacro qui tourne Un certain matin (1992) en mooré et La Nuit de la vérité (2004) en français. C’est dire, par ailleurs, que la périodisation que nous avons établie en termes de génération n’a qu’une valeur indicative, de même que l’appartenance d’un cinéaste à telle ou telle période de l’histoire cinématographique n’est guère figée.

            De manière générale, l’esthétisation du ressentiment des cinéastes africains vis-à-vis de la langue française s’opère par des détours variés dont les stratégies fondamentales sont la titraison, le sous-titrage et la voix off.

 II.1. La titraison

Le titre d’un film est l’élément déterminant de son identité. Il constitue son nom propre et cristallise, de ce fait même, la charge sémantique du film. Le titre est à la fois une annonce, une évocation, un renvoi, mais aussi un horizon d’attente. A l’image du prénom humain qui, dans la plupart des cas en Afrique, est porteur d’un souvenir, d’un programme ou tout simplement d’un idéal – celui du donateur du prénom – le titre d’un film est aussi porteur d’un projet cinématographique et constitue une médiation entre la vision intérieure de l’artiste et les manifestations figurative et plastique générées par cette vision.

Ce faisant, la titraison que nous concevons comme étant le processus qui consiste à donner un titre à une œuvre revêt une importance qui va bien au-delà d’un simple marketing mercantiliste. La titraison, c’est la façon de donner forme à ce qui est informe ou supposé tel. Au-delà de sa valeur dénominative, elle a une charge identitaire. Elle découle d’un projet et elle est grosse d’un sémantisme dont les isotopies fondamentales peuvent être lexicalisées en termes de suggestion, de promesse ou d’orientation de lecture.

Sous ce rapport, il nous semble qu’une observation attentive de la titraison des films africains laisse apparaître une certaine récurrence des formulations de titres en langues nationales africaines qui frise une attitude obsessionnelle.

Outre les éponymes comme « Niaye » (1964) de Sembène Ousmane, « Wend kuuni » (1982) de Gaston Kaboré, « Poko » (1981) et « Yaaba » (1989)  d’Idrissa Ouédraogo, qui sont tout aussi lourds de sens en tant que prénom, il y a une véritable conceptualisation du titre dans les langues nationales qui confère, pour le moins, aux différents films une coloration locale. Ainsi peut-on citer entre autres :

De Sembène Ousmane les titres comme :
-          Borom Sarret (1963)
-          Xala (1974)
-          Ceddo (1977)
De Souleymane Cissé
-          Baara (1978)
-          Finyè (1983)
-          Yeelen (1987)
-          Waati (1995)
De Djibril Mambéty Diop
-          Touki Bouki (1973)
De Sanou Kollo
-          Paweogo (1983)
De Cheikh Oumar Sissoko
-          Nyamanton (1986) 
De Idrissa Ouédraogo
-          Yam daabo (1986)
-          Tilaï (1990)
-          A Karim na Sala (1991)
De Gaston Kaboré
-          Buud Yam (1997)
De Adama Drabo
-          Taafe fanga (1997)
De Saint Pierre Yameogo
-          Simandé (1998)
Et la liste n’est pas exhaustive.
           
            Une telle récurrence des titres en langues nationales, même dans le cas où le film est tourné en français comme Paweogo, ne saurait relever d’un simple effet de mode. Au-delà de la volonté de reterritorialisation du projet cinématographique par les Africains[9], il s’agit de façon détournée de baptiser l’œuvre filmique d’un nom porteur d’un projet identitaire qui conditionne son existence. La pratique cinématographique se positionne dès lors comme le lieu d’une épiphanie identitaire. Dans cette perspective, on comprend aisément que la titraison des films africains en langues nationales ne relève pas uniquement d’un besoin de coloration locale. Elle est symptomatique d’un désir obsessionnel, celui de la de manifestation de soi. Ce désir est sensé trouver son assouvissement, dès l’entame, du film par le biais de la titraison.  

II.2. Le sous-titrage

Outre la titraison, l’esthétisation du ressentiment des cinéastes africains s’opère par le détour du sous-titrage. Le sous-titrage consiste en la surimpression de texte au bas de l’image, dans l’intention de traduire, le plus souvent dans une autre langue, le dialogue des personnages filmiques. Cette traduction synchrone avec le dialogue, au bas de l’écran, vise à rendre le film accessible à un public qui ne comprendrait pas la langue de tournage du film.

A l’avènement du cinéma parlant, le sous-titrage était perçu comme une sorte de résumé du dialogue des personnages dans le but de fournir à un public étranger, juste des éléments d’information essentiels à la compréhension de certains aspects du film. On se fiait à l’universalité du langage iconique sensé traduire de façon satisfaisante le contenu filmique.

De nos jours, la pratique du sous-titrage ne consiste plus en l’inscription des éléments supposés indispensables à la compréhension du film. Elle tend à être une traduction fidèle du dialogue, de sorte à rendre compte des subtilités de la langue. Si cette quête de fidélité dans la traduction présente l’avantage d’installer le spectateur dans l’illusion de ne rien perdre du contenu filmique, il reste malheureusement (et c’est le cas hélas fréquent dans la filmographie africaine) que cette manière de procéder n’est pas sans courir le risque de tomber dans la littéralité, et partant, dans la massification de tracés graphiques dont le défilement rapide ne permet pas une lecture intelligible du message. Force est de constater, par ailleurs, qu’en matière de sous-titrage dans les productions cinématographiques africaines, il se pose, le plus souvent, de sérieuses difficultés de compétence linguistique qui en ajoutent à l’inintelligibilité du message.
Quelle que soit la technique utilisée, le sous-titrage induit une hiérarchisation des langues en présence, et c’est à ce niveau que réside la dimension stratégique de cette pratique que nous concevons comme un détour artistique permettant l’expression d’un ressentiment linguistique.

En effet, en faisant des langues africaines la langue de tournage de films africains, les cinéastes s’inscrivent résolument dans le projet panafricaniste de la valorisation des cultures africaines dont la langue constitue le véhicule principal. Il se trouve qu’une telle option comporte inéluctablement le risque de confiner la production cinématographique dans une aire culturelle qui ne favorise pas son épanouissement commercial. Pour échapper à ce risque de ghettoïsation, le sous-titrage apparaît comme une stratégie qui offre l’avantage d’assouvir un besoin d’expression identitaire tout en satisfaisant aux exigences commerciales.

Mais on pourrait se poser la question de savoir pourquoi pas l’inverse ? Si tant est que la langue française dispose d’une audience plus importante que les langues nationales, pourquoi ne pas tourner les films en français et les sous-titrer dans les langues nationales ? Pour répondre à cette interrogation, il faut se garder de tirer précipitamment argument de l’analphabétisme des locuteurs africains en langues nationales ou de l’incompétence supposée de certains comédiens à parler couramment le français. Il nous semble qu’au-delà de toutes ces raisons apparentes, le tournage des films en langues nationales et leur sous-titrage en français repose sur un choix idéologique opéré en vertu d’une considération axiologique. En reléguant la langue française au bas de l’écran, en inondant en revanche la quasi totalité de l’écran des langues nationales, il apparaît au plan même de l’occupation de l’espace filmique une discrimination notoire en faveur des parlers africains.

Quand on sait les difficultés qu’éprouve le spectateur à partager constamment son regard entre les images projetées au cœur de l’écran et le sous-titrage confiné sur le bord inférieur de l’écran, on est en droit de se demander si la démarche stratégique du sous-titrage, en dépit des raisons commerciales qu’on pourrait évoquer, ne cache pas une volonté d’incrimination de la langue française.

En tout état de cause, au-delà de la discrimination spatiale consistant au rejet du français au bas de l’écran, l’esthétisation du ressentiment par le biais du sous-titrage semble se confirmer par un constat d’émasculation de la langue du colonisateur qui se trouve être réduite à un mutisme graphique. En effet, le sous-titrage, faut-il le rappeler, est l’inscription graphique d’une langue dans un univers cinématographique où une autre langue se déploie pleinement dans toutes ses sonorités en tant que parole réellement proférée par les personnages du film. La langue du sous-titrage confinée au mutisme s’opposerait ainsi à celle du tournage, caractérisée par sa vitalité orale. En vidant de la sorte la langue du sous-titrage du son qui constitue l’épaisseur de toute langue, en l’extrayant de la bouche qui lui confère sa vitalité, on la soumet à une mutilation qui s’assortit à un processus de castration dont la symbolique est fortement représentative d’un désir fantasmatique de vengeance.

Dans le même ordre d’idée, la voix off, telle que cela se manifeste dans La Noire de…de Sembène Ousmane, résulte d’un processus d’esthétisation du ressentiment du doyen des cinéastes africains vis-à-vis de la langue française.

II.3. La voix off

L’avènement du parlant a véritablement révolutionné la pratique cinématographique. Il ne s’est pas agi d’une simple addition du son à l’image pour accroître l’expressivité de celle-ci. La révolution du parlant a induit une refondation de l’esthétique cinématographique aussi bien au plan de la conduite du récit filmique qu’au plan des rapports entre l’image, l’écran et le son. En rehaussant l’impression de réalité du septième art, le bruit, la musique et surtout le verbal ont, par leur fonctionnalité narrative, donné du relief aux jeux des acteurs, accrû le pouvoir énonciatif du cinéma et amplifié sa capacité évocatrice. Le verbal notamment a introduit au cœur de la pratique cinématographique la problématique de la voix humaine dont les implications esthétiques sont considérables.

Objet sonore primordial du cinéma, la voix humaine constitue un attribut essentiel du personnage. En plus de sa valeur sémantique, elle est « source de profondes résonances affectives (…) en raison de son fort coefficient d’humanité »[10]. Son exploitation au cinéma est assez diversifiée.

Elle est dite acoustique lorsque la source émettrice est visible à l’écran. C’est ce que l’on appelle, par ailleurs, la voix in. C’est celle du personnage filmique que l’on voit dans le cadre et qui s’exprime.

La voix est acousmatique lorsqu’on ne perçoit pas sa source de provenance à l’écran. Dans ce cas de figure, trois types de rapport avec le champ iconique sont possibles. La voix peut être qualifiée de « hors-vu », c’est-à-dire que la source est dans le champ, mais cachée par un élément quelconque du décor. Elle est qualifiée de « hors-champ » lorsque la source émettrice n’est pas du tout perceptible à l’écran mais fait partie de l’histoire racontée. La voix acousmatique est dite « hors cadre » ou plus précisément « voix off » lorsqu’elle provient d’une source extérieure à l’espace et à l’histoire racontée dans le champ iconique.

Du point de vue de l’histoire racontée, il apparaît que les « voix in », « hors-vu » et « hors-champ » relèvent de l’univers diégétique du film, tandis que la « voix off » relève de l’univers extradiégétique et la plupart du temps, elle est celle du narrateur extérieur à l’histoire, qui commente les faits et gestes d’un personnage, avec parfois le pouvoir de révéler même la pensée intérieure de celui-ci. Un tel récit est en focalisation interne fixe à l’exemple de ce qui se passe dans La Noire de…, lorsque le narrateur, extérieur à l’histoire et au cadre, raconte la pensée de Diouana en français.

Cette option narrative opérée par Sembène Ousmane pour rendre compte du point de vue de son personnage principal, surtout lorsque ce dernier était en France, à Antibes, comporte des enjeux esthétiques certains qui s’assortissent à un détour artistique rendant possible l’expression d’un ressentiment.

Rappelons que La Noire de… est l’histoire d’une jeune fille sénégalaise, Diouana, une « bonne », c’est-à-dire une servante de maison, qui accepte avec enthousiasme la proposition de ses patrons blancs, qui retournent chez eux en France, de les y accompagner pour travailler. Le plaisir de la découverte de ce nouveau monde se transforme très vite en une profonde déconvenue. Diouana se sent esclave de sa patronne qui n’a aucune considération pour elle. Emmurée entre la chambre, la cuisine et la salle à manger, isolée, méprisée, commise à toutes les tâches domestiques, Diouana ne supporte pas la négation de sa personnalité. Elle décide de se suicider dans la salle de bain de ses patrons.

De toute évidence, le choix de la voix off pour rendre compte du point de vue de Diouana dans cet univers carcéral est une stratégie narrative qui accentue la déshumanisation du personnage. En lui ôtant la parole de la bouche au profit d’un narrateur extérieur qui exprime en ses lieu et place sa pensée, c’est une façon de rendre plus prégnante l’anéantissement de la personnalité de Diouana. Elle devient tout aussi muette que le masque accroché dans le salon de ses maîtres. Ce mutisme est fortement symbolique de la chosification dont elle est victime, et dont elle décide de se libérer en se donnant la mort.

Mais au-delà de ce sémantisme de la voix off, il est possible d’y voir une autre signification si on considère l’usage de cette technique narrative sous l’angle de la dynamique linguistique. Il nous semble qu’au cinéma, l’image et la voix entretiennent d’étroites relations à tel point que leur influence est réciproquement ressentie. En effet, de même que la pratique de la voix off amoindrit la dimension humaine d’un personnage dont on dit l’histoire, de même elle affaiblit la vitalité de la langue dont on use. La voix off, comme nous l’avons précédemment indiqué, est en dehors du cadre diégétique. Elle est en retrait par rapport au monde fictif que crée le film. Ce retrait qui pourrait s’assimiler à un rejet n’est pas exempt de connotation dysphorique. La voix off ne fait pas partie de la dynamique interne des échanges verbaux dans le récit filmique. Ce faisant, elle ne bénéficie pas des inflexions diverses qui donnent vie à la langue en situation de communication. Elle devient une sorte de langue passive, monocorde, à la limite érodée et sans empreinte particulière.

Lorsqu’une voix est portée par une image visible, elle rentre dans la plénitude de ses fonctions informatives et identificatrices. Outre sa dimension sémantique, elle devient l’attribut essentiel du personnage qui la porte, et se trouve affectée à son tour par la personnalité de celui dont elle est l’attribut. En revanche, quand elle fonctionne comme un son qui se laisse tout simplement entendre dans la nature, elle se trouve vidée de la substance de son actualité par rapport au récit, et partant, de sa vitalité. De même que la voix porte en elle le pouvoir de fantasmer la bouche en tant que lieu d’émission de la parole, de même la bouche qui profère a un pouvoir d’irradiation de la voix et de personnalisation de la parole.

Au regard donc de ce qui précède, il apparaît que l’usage de la voix off dans La Noire de…relève d’un détour artistique visant à trouver un exutoire à un ressentiment colonial. Il s’agit d’une stratégie narrative qui participe de la volonté du cinéaste de commettre symboliquement le meurtre de la langue française. En choisissant la voix off en français, Sembène Ousmane procède à l’exclusion de cette langue de son univers filmique, du moins en ce qui concerne la séquence relative à la vie de Diouana en France. Cela s’apparente à une sorte de séquestration du français à l’image de la vie d’esclave imposée à Diouana. On pourrait même affirmer que le refus de la jeune fille de se laisser domestiquer par ses patrons est symétrique à son refus volontaire ou involontaire de parler le français. Par le même biais, le cinéaste réalise symboliquement son meurtre, dans la mesure où il réussit à émasculer cette langue, en ne la faisant pas portée par une image visible.

C’est dire de manière générale que l’impossibilité de se défaire de la langue française, en dépit du ressentiment qu’éprouvent de nombreux cinéastes africains francophones de la première génération à son égard, trouve une résolution à travers des détours esthétiques dont l’intentionnalité est de procéder à la mise à mort symbolique de cette langue considérée comme étant le prolongement de la domination coloniale. C’est cette obligatoire coexistence que nous représentons sous l’allégorie du mariage à chambre séparée.

Cependant, l’examen de la dimension linguistique des productions cinématographiques actuelles appelle un autre constat. Il nous semble que ces productions filmiques consacrent la liquidation de la blessure coloniale et entretiennent un nouveau rapport à la langue française.
                                                                                                                   
III.             De la liquidation de la blessure coloniale

Les productions cinématographiques récentes, contrairement à celles de la première génération, ne réfractent pas la problématique de la coexistence du français et des langues nationales sous le mode d’un désir de vengeance qui trouverait son assouvissement dans un détour esthétique. L’artistisation de la pratique linguistique dans la filmographie moderne offre plutôt le constat d’une liquidation de la blessure coloniale, par le fait de l’assimilation et de l’appropriation de la langue du colonisateur par le colonisé.

En d’autres termes, le ressentiment fait place à une sorte d’accommodation de l’être du colonisé à la blessure ontologique infligée par le colonisateur. Cette accommodation appelle un nouveau rapport à la langue française qui se trouve, dorénavant, intégrée dans un circuit de communication où elle acquiert un statut autre que celui de langue étrangère. Elle subit un processus d’indigénisation, ou plus exactement d’incorporation curative qui émousse son étrangeté et lui confère une couleur locale. Ce faisant, l’agression et la mise à mort symbolique dont le français était victime dans les productions cinématographiques de la première génération cessent au profit d’un nouveau regard qui ne le perçoit plus comme un élément exogène au service de la domination coloniale, mais plutôt, comme un médium de communication appréhendé dans une dynamique de productivité. Ce qui était autrefois considéré comme un obstacle linguistique se transforme en une opportunité linguistique. Du cri pathétique de Mongo Béti : « Seigneur, délivre-nous de la francophonie… »[11], on est passé aux préceptes paternalistes de Guy Ossito Midiohouan : « Du bon usage de la francophonie »[12].

III.1. Du mythe[13] babélique au mythe pentecôtiste de la chambre haute

Le passage de l’étape du ressentiment vis-à-vis de la langue française à celui de son incorporation productive dans le discours filmique africain présente quelques traits de ressemblance avec l’histoire biblique de la tour de Babel[14], et surtout, avec celle de l’événement linguistique produit à la pentecôte au moment où les disciples étaient réunis dans la chambre haute[15]. La difficulté de bâtir une tour – linguistique – sur la base d’une seule langue, celle de la culture du cinéaste, dont l’expression totale passe par la mise à mort impossible de la langue du colonisateur, semble avoir conduit à une dispersion linguistique dont les productions cinématographiques récentes se font l’écho.

Toutefois, il convient plus de parler de polyphonie linguistique dans la cinématographie ouest africaine francophone que de dispersion linguistique. Ce qui se passe dans cette nouvelle filmographie se démarque en effet de l’incompréhension qui caractérise les acteurs de la tour de Babel. La polyphonie linguistique, dans les récentes productions cinématographiques africaines francophones, partage avec le mythe pentecôtiste l’étonnement du spectateur et l’intercompréhension entre les acteurs. Cependant, à la différence du récit biblique de la pentecôte où les locuteurs se sont mis à parler dans des langues qu’ils sont censés ignorer, la cinématisation actuelle de la pratique linguistique met en scène des auditeurs qui comprennent des langues qu’ils sont supposés ignorer. En d’autres termes, on assiste dans un même univers diégétique à une mosaïque de parlers qui s’assortit, dans une certaine mesure, au mythe pentecôtiste de la chambre haute.

La liberté ainsi accordée à chaque personnage filmique de s’adresser à son interlocuteur, dans la langue de sa convenance et dans une même situation de communication, apparaît à cet égard comme une richesse linguistique.

On peut citer en guise d’exemple le film de Boubacar Zida dit Sidnaba, Un fantôme dans la ville (2008), tout comme les films feuilletons, Ma famille d’Akissi Delta (2004), ou encore Cour commune d’Adama Rouamba dit Adama le Phénix, réalisé en 2010. Dans ces productions cinématographiques, des langues nationales telles que le moré, le dioula le bété font parfois irruption dans le discours filmique majoritairement tenu en français. De toute évidence, ce cas de figure n’est pas seulement caractéristique des productions africaines.

Par contre, il nous semble que les films de Boubacar Diallo réfractent de façon particulière cette polyphonie linguistique avec une intentionnalité tout aussi particulière. La plupart de ses films apparaissent comme le lieu d’une coexistence féconde ou d’un mariage tout court entre le français et les langues nationales. Que ce soit dans Mogo-Puissant en 2007, Charly et Omar en 2010, Julie et Roméo en 2011, l’univers filmique d’Aboubacar Diallo est marqué par un pluricodisme où des personnages communiquent avec des codes différents dans un même espace diégétique.

Le titre Mogo-Puissant, par exemple, est en lui-même illustratif de cette dynamique productive de la coexistence du français et des langues nationales. Ce mot composé est constitué de deux lexèmes issus de deux codes linguistiques différents, qui fonctionnent pourtant comme une unité monématique. Mogo-Puissant est en effet un mot hybride qui tient sa substance constitutive du dioula, langue nationale et du français langue étrangère « nationalisée ».

Cette nouvelle dynamique productive qui se manifeste par un investissement pluricodique de l’univers filmique soulève des enjeux identitaires caractéristiques de l’espace ouest africain francophone. Sans être une entrave à l’intercompréhension, la coexistence du français et des langues nationales sous le mode de la polyphonie linguistique détermine, non seulement, le statut aphone de nombreux Africains francophones, mais aussi l’identité polymorphe de l’Africain francophone postcolonial.

III.2. Les enjeux identitaires de la polyphonie linguistique dans l’espace filmique

Le constat de la liquidation de la blessure coloniale au plan linguistique, rendue possible grâce à un processus d’incorporation curative du français dans les habitus langagiers des Africains francophones, révèle  un double enjeu identitaire. La révélation du statut aphone de nombreux Africains francophones d’une part, et d’autre part, la mise en exergue de l’identité polymorphe de l’Africain francophone postcolonial.

III.2.1. La révélation du statut aphone des Africains francophones

La capacité de certains personnages filmiques de comprendre leurs interlocuteurs qui s’expriment en français, de converser avec eux en répliquant dans une des langues nationales, relève moins d’un choix opéré dans une gamme de codes à leur disposition que d’une contrainte objective. Cela se justifie d’autant plus que dans l’imaginaire collectif de nombreux Africains francophones, parler français est un signe indicatif du statut social du locuteur, un signe d’appartenance à une classe sociale supérieure à celle de ceux qui ne sont pas locuteurs  de cette langue. 

Dans ce contexte, il apparaît clairement que le fait de ne pas s’exprimer en français dans une situation de communication qui l’exige témoigne d’un handicap linguistique qui dénote la faible considération du statut social du personnage. En revanche, lorsqu’un locuteur choisit de parler français au détriment de la langue nationale parlée par son interlocuteur, et dans laquelle il est supposé s’exprimer, il opère, le plus souvent par ce biais, un jugement de valeur dont l’objectif est d’afficher son appartenance à une classe sociale supérieure.

Au-delà de cette première configuration des sujets parlants dans la filmographie ouest africaine francophone où le français est indicatif du statut social des personnages, ce qui présente par ailleurs un intérêt cinématographique certain quant à l’impression de réalité que cela confère au jeu des acteurs, il apparaît de cette polyphonie linguistique une autre configuration du sujet filmique qui repose cette fois-ci sur un nouveau rapport au français et à la francophonie.
En réalité, si des locuteurs sont capables de converser dans des codes différents, notamment en français et en langues nationales dans le même espace diégétique, cela implique qu’on affaire à une sorte négation de certains attributs du français. Il ne suscite plus de complexe d’infériorité ni de supériorité et se trouve par conséquent réduit à sa stricte dimension communicationnelle. Il entre dans un régime de coexistence équilibrée avec les langues nationales et partage avec celles-ci le même espace.

Mais au-delà de ce nouveau régime de coexistence, un autre constat s’impose. L’enjeu majeur de la polyphonie linguistique dans l’univers filmique ouest africain réside dans la révélation du statut aphone de nombreux Africains francophones. Autrement dit, il s’agit de la mise en scène cinématographique de sujets qui comprennent le français mais qui sont incapables de le parler et encore moins de l’écrire. Cette situation dans laquelle se trouvent de nombreux Africains francophones pose le problème même de leur appartenance à la francophonie.

En effet quand on considère qu’il y a moins de quarante pour cent de Burkinabè, par exemple, qui savent  converser en français – ce qui ne représente pas le pourcentage le plus bas de la région ouest africaine francophone – cela induit que l’appartenance francophone des pays d’Afrique de l’ouest repose plus sur d’autres critères que le critère linguistique. Il s’agit davantage d’une francophonie géographique, institutionnelle que langagière.

Il nous semble que c’est cet enjeu identitaire qui sous-tend la cinématisation de la pratique linguistique dans les récentes productions filmiques africaines. Elle révèle des sujets africains francophones qu’il conviendrait de qualifier d’Africains francophones aphones.

III. 2.2.  La révélation d’une identité polymorphe

L’investissement pluricodique de l’espace filmique dans les récentes productions cinématographiques africaines comporte des enjeux identitaires qui vont au-delà d’une simple considération linguistique. En établissant l’analogie entre le passage du ressentiment à la liquidation de la blessure et, le passage du mythe babélique au mythe pentecôtiste, il s’agissait de mettre en exergue le passage de la volonté de célébration d’une langue et donc d’une culture, à la nécessité de célébration de plusieurs langues, donc de plusieurs cultures. 

On est ainsi passé de la magnificence d’une culture babélique à la célébration d’une polyphonie linguistique qui apparaît plus conforme à l’être de l’Africain postcolonial. L’identité archéologique babélique semble être, pour le moins, inaccessible, sinon, à jamais perdue. L’Africain postcolonial est davantage un être hybride polyphone, à l’image de ce que réfractent les récentes productions cinématographiques. Il est un être composé à l’instar du mot composé « Mogo-Puissant » et fonctionne comme une entité hybride tout comme l’unité monématique « Mogo-Puissant ».

C’est cette identité hybride en perpétuelle construction qu’il convient d’appeler une identité polymorphe au regard du caractère protéiforme de ces constituants. Elle s’oppose à l’identité archéologique monophone et monoforme qui n’existe que dans l’imaginaire. La réalité de l’Africain francophone postcolonial, telle que cela apparaît de plus en plus dans la création cinématographique de cette partie du continent, est celle de l’impossible retour aux sources, de l’impossible meurtre de la langue française. C’est une réalité marquée par la polyphonie linguistique de chaque sujet parlant, ce qui est éloquemment illustratif d’une identité polymorphe.

Pour conclure

La coexistence du français et des langues nationales en Afrique de l’ouest pose une problématique qui n’est pas étrangère à la création artistique. Dès lors que les Africains francophones se sont saisis de la camera, ils ont été confrontés à cette question de la coexistence entre la langue du colonisateur et leurs langues nationales. Dans l’impossibilité de se débarrasser du français, tout comme ils se sont libérés de la domination coloniale, ils ont user de détours esthétiques divers pour commettre le meurtre symbolique d’une langue naguère considérer comme étant le prolongement de l’occupation territoriale.

Ce vif ressentiment vis-à-vis de la langue française, suscité par le souvenir de la domination coloniale, sera liquidée au fil du temps grâce à de nombreux facteurs ayant permis l’accommodation du sujet africain postcolonial à la blessure. C’est ce que réfractent les récentes productions cinématographiques à travers l’option d’une polyphonie linguistique qui envahit l’univers filmique. Cette option soulève évidemment des enjeux identitaires qui mettent en lumière le statut aphone de nombreux Africains francophones et leur identité polymorphe. Elle relance le débat du rapport des Africains à la francophonie et suscite des interrogations quant à l’avenir des langues nationales dans un contexte où des a-francophones évoluent assez rapidement vers le statut de francophones aphones. C’est à se demander le sort qui sera réservé aux langues nationales quand on sera véritablement francophone.

                                                                                                                  Justin OUORO
                                                                                                         Université de Ouagadougou





























Bibliographie

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                          n°59-62, sept.-dec., 1987.
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MIDIOHOUAN, Ossito Guy, Du bon usage de la francophonie, Porto Novo, CNPMS, 1994.

MOSER, Walter « L’anthropophagie du sud au nord », in Confluences littéraires, dir.  
                              Peterson M. et Bernd Z. 1992.
NIANG, Sada, (dir.), Littérature et cinéma en Afrique francophone : Ousmane Sembène et
                              Assia Djebar, L’Harmattan, 1996.
OUORO, Justin, Poétique des cinémas d’Afrique noire francophone, Presses universitaires de
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PARE, Joseph, « Africain francophone : les détours d’une identité paradoxale »,
                           Communication donnée à l’occasion du colloque sur le thème : Francophonie
                           plurielle. Paris, 17-20 mai 2001.




[1] 1955 est considérée comme la date de parution du premier film de fiction d’Afrique noire francophone, notamment Afrique-Sur-Seine de Paulin Soumanou Vieyra et alii.
[2] Dans son article intitulé « L’anthropophagie du sud au nord », paru en 1992 dans Confluences littéraires, sous la direction de PETERSON (M.) et BERND (Z.), Québec : Les éditions Balzac. Walter Moser qualifie d’anthropophage culturel, le geste de dévoration cannibale de la culture du maître par l’esclave. Ce geste comporte un moment de violence dans la mesure où il implique la mise à mort de la culture supposée supérieure, en procédant par son incorporation et sa réappropriation. En digérant ainsi la culture adverse, l’anthropophage culturel s’en trouve revigoré et accroît de fait sa capacité productrice.
[3] Nous utilisons le mot cinématisation pour désigner le passage dans le code cinématographique d’éléments supposés étrangers à ce code. C’est le processus par lequel un élément donné devient une composante cinématographique. Cf. Justin OUORO, Poétique des cinémas d’Afrique noire francophone. Presses universitaires de Ouagadougou, 2011.
[4] Propos rapporté par Sada Niang (dir.), Littérature et cinéma en Afrique francophone : Ousmane Sembène et Assia Djebar, L’Harmattan, 1996, p.12.
[5] Toubabou est un mot bambara qui désigne à la fois l’homme blanc et sa langue. Dans ce contexte, il s’agit du Français et de la langue française. [Cette note de bas de page est de nous].
[6] Livre scolaire à l’usage des écoliers africains.
[7] Joseph Paré, « Africain francophone : les détours d’une identité paradoxale », Communication donnée à l’occasion du colloque sur le thème : Francophonie plurielle. Paris, 17 – 20 mai 2001.
[8] Dominique Chateau. Esthétique du cinéma. Armand Colin, 2006. p. 55.
[9] On pourrait lire à ce sujet notre ouvrage intitulé Poétique des cinémas d’Afrique noire francophone, Presses universitaires de Ouagadougou, 2011.
[10] André Gardies et Jean Bessalel. 200 mots-clés de la théorie du cinéma. Paris : Les éditions du CERF, 1992,
p. 209.
[11] Mongo Béti, « Seigneur, délivre-nous de la francophonie », Peuples noirs-Peuples africains, n°59-62, sept.-dec., 1987.
[12] Guy Ossito Midiohouan, Du bon usage de la francophonie, Porto Novo, CNPMS, 1994.
[13] La terminologie de mythe ne comporte ici aucune connotation illusoire ou utopique. Nous avons qualifié ces événements bibliques de mythe pour la simple raison qu’ils transcendent l’entendement humain.
[14] La Sainte Bible, Livre de Génèse, chapitre 11. Traduction de Louis Second.
[15] La Sainte Bible, Livre des Actes, chapitre 2, versets 1 à 12. Traduction de Louis Second.