Jean-Pierre Bekolo a été l’invité d’honneur du Festival Ciné Droit-Libre
2013 de Ouagadougou et son dernier métrage film « Le Président » a
ouvert les projections. Ce film évoque la fin du long règne de Paul Biya. Quand
le cinéma met les pieds dans le plat de l’actualité politique, que peut-il en advenir ?
Le cinéma a-t-il le pouvoir de changer la
société ?
« Le Président » est né, selon J-P. Bekolo,
du constat que le cinéma africain a renoncé à sa vocation politique et à sa
capacité prophétique. Il ne se console pas
que le cinéma africain n’ait pas pressenti la montée des contestations
populaires de ces dernières années ni annoncé
les printemps arabes. Sans rentrer dans un débat historique, on veut bien
savoir quand le cinéma a perdu sa vocation politique. « Les Saignantes »
n’est-il pas un film politique ? Toute la filmographie de Ousmane Sembène
n’est-elle pas politique ? « Finyé » de Soulemane Cissé
n’annonce-t-il pas une décennie avant le massacre des jeunes Maliens en 1991 par
la garde prétorienne de Moussa Traoré ? Quid de « Silmandé » de
Pierre Yaméogo ? « Africa Paradis » n’est-il pas une nouvelle
Utopia? Le cinéma peut-il être
autre que politique ? Du moment où un homme se pique de montrer le réel,
il ne peut que le faire d’un certain lieu et il contamine ce réel d’idéologie. Filmer,
c’est choisir des êtres et des choses à mettre dans un cadre, c’est une autre
façon d’introduire un bulletin dans une urne. On peut discuter du degré
d’engagement politique d’un film qui
varie d’un réalisateur à un autre car tout film danse sur le fil rouge de la
politique tendu entre deux poteaux que sont le tract et le poème. Tout film cause
par conséquent de politique mais la hauteur et la qualité de la voix hésitent
entre le bégaiement de l’indécis, le murmure du précautionneux, la vocifération
du militant et le chant du poète.
On peut néanmoins reconnaître qu’il défriche
un champ, le terrain brûlant de l’actualité. Ce film s’inscrit dans le « hic et nunc » et fictionnalise la réalité politique
camerounaise sans trop l’altérer. C’est un processus de création qui arrête la transmutation à mi-chemin. Comme
une statue qui prendrait forme tout en restant prisonnière de la pierre. Ici le crépuscule d’une idole de fiction (Le
président) côtoie celui de Biya à s’y
confondre et des personnages de fiction frayent avec un constitutionaliste bien
connu.
Aussi la seule question qui
vaille est celle-ci : du tract ou du poème, duquel « Le Président »
de Jean- Pierre Bekolo est-il plus
proche ?
Indéniablement ce long métrage
qui tient du film expérimental, du polar politique et du biopic est une œuvre
bien empaquetée. Ce film éclaté est un patchwork de fragments suturés entre eux
par la musique. Il est éparpillé à l’image du pays sur lequel règne Paul Biya
depuis quatre décennies. La narration assumée
par plusieurs personnages, un vieux prisonnier politique, un bonimenteur de
télé-réalité Jo Wodou et une journaliste, tente de dessiner en creux le
portrait du vieux président dont le chèche autour de la tête suggère la
bandelette de la momie. Mais au lieu que les morceaux de puzzle s’ajustent pour
restituer le vrai visage du vieil homme d’Etat, les témoignages qui tressent la
fabulation à la rumeur participent plus
à élaboration d’un mythe qu’à la révélation de la vérité. D’ailleurs, le mérite
du film qui se veut de dénonciation est d’échapper au manichéisme et à la
caricature qui aurait voulu que l’on nous offrît un monstre. Fort heureusement le
Président est humain, trop humain. Le voir attabler devant un plat de manioc
comme n’importe quel tartempion ou l’entendre confesser à demi-mot son échec
dans la conduite du navire Cameroun fait effectivement de lui, un simple
mortel. Et installe la possibilité de sa disparition. Sa mort ou ce qui peut
être perçu se teinte de poésie. Ainsi de
la pirogue glissant sur le fleuve, le
président et sa première épouse bavardant sous l’œil du rameur est un passage
vers l’au-delà qui s’apparente à la traversée du Styx avec un Charon tropical
dans un univers édénique. Le ciel est d’un gris azuré, la forêt sur la berge
est une muraille aux mille nuances de vert et le fleuve, une nappe miroitante
que le passage d’un nuage ombre par moment. De manière générale, bien que le
film parle de mort, il se dégage une ambiance solaire. Les artères de Yaoundé
grouillent de vie, de couleurs, de bruits et de musique. La ville est
pétulante, chaude comme une étreinte. Sans mettre ce film au niveau des « Saignantes »,
il est plus un cri poétique qu’un slogan politique.
Deuxième question. Qu’apporte ce
film au peuple camerounais ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne fera pas
plaisir aux caciques du pouvoir qui y verront une insolence d’artiste. Parce
que ce film est un poil à gratter, on peut dire qu’il se justifie. René Char
disait que ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni
patience. Ce film trouble. Donc mérite égards. Néanmoins, son happy end avec
une jeune femme du sérail qui prend les rênes du pays est par trop utopique et
ne prépare pas les Camerounais à ce qui les attend. Pas besoin d’être Cassandre
pour savoir que les longs règnes accouchent de grands désordres. Pour preuve la
guinée, la Côte d’Ivoire, l’Egypte…Lorsque le cinéma prétend esquisser
l’avenir, il doit délaisser le rose de l’ecstasy hollywoodien pour le rouge et
le noir de la tragédie. A moins d’imaginer que la course du jeune homme roulant
comme une flèche sur une avenue bordélique dans le dernier plan finisse en
hors-champ entre les roues d’un
mastodonte. Le film n’étant pas projeté au Cameroun, donc n’étant pas vu par
son public d’élection, il est un cri dans le désert. De profundis Clamavi,
disait le poète.
Ainsi si Bekolo rêvait d’une
immense déflagration provoquée par son film, il doit être bien marri. Car si
l’œuvre d’art est une étincelle à la
recherche d’une poudrière, sur les
routes cabossées du Cameroun, l’étincelle est tombée dans une fondrière.
Question subsidiaire. Est-ce qu’enfin
la nature même du film qui se situe dans
l’entre-deux de la fiction et du docu n’affaiblit-il pas la portée du
film ? Nul doute que pour les Camerounais, un documentaire aurait eu plus
d’impact qu’une fiction pour leur parler
de leur quotidien.
Pour conclure, il y a du réconfort
à sentir qu’un artiste est solidaire de la cause du peuple à travers son art
mais le seul engagement qui compte reste l’implication citoyenne de l’artiste. Aujourd’hui
comme hier, c’est sur le champ de bataille ou
dans la rue et non dans le confort d’un
plateau de cinéma que se gagnent les combats politiques…Alors que peut
le cinéma ? Peu de choses. Devant
un peuple qu’on dépossède de son futur comme devant un enfant qui meurt,
« Le Président » de Jean-Pierre Bekolo tout comme La Nausée de Sartre ne fait pas le poids…
Saïdou Alcény BARRY