Le Burkina Faso est
connu pour le Fepaco et pour ses séries télés mais beaucoup moins pour son
cinéma documentaire. Pourtant, le documentaire est en passe de devenir le premier
genre. L’association Semfilms s’est spécialisée dans le documentaire sur les
droits humains. Elle s’impose dans le paysage cinématographique africain comme
un laboratoire du cinéma de la liberté.
Un désir de cinéma du
réel
Au Burkina Faso, plusieurs faits ont concouru au
développement du cinéma documentaire. A partir des années 2000, le cinéma de
fiction va connaître des difficultés à cause de la raréfaction des aides à la
production. A la même période on assiste à l’émergence d’une société civile et d’une
conscience citoyenne consécutive à la déception qui a suivi l’euphorie qui a
accompagné l’avènement du multipartisme et de la démocratie dans les années 90.
Aussi les jeunes réalisateurs se tournent-ils vers le cinéma du réel qui rend
mieux compte de leur engagement et qui participe plus directement à interroger
le quotidien. Le développement du numérique en minorant le coût de production de ces
festivals va aussi servir l’inclination des jeunes cinéastes pour le
documentaire.
Pourtant si le cinéma documentaire est plus facile à
produire, il est rapidement
confronté à des problèmes de
diffusion du fait des sujets sensibles auxquels il s’intéresse : les
dérives politiques, les scandales économiques, les tares sociales. Ce sont les
problèmes de diffusion qui poussent les réalisateurs Abdoulaye Menès Diallo,
Luc Damiba et Gideon Vink à créer l’association Semfilms avec le réalisateur Gideon Vink pour aider à
la production et à la diffusion des
films documentaires qui peuvent n’être ni commercialement rentablement ni « politiquement correcte » pour
l’establishment. Ainsi, en 2003, Abdoulaye Menès Diallo, Luc Damiba réalisent Borry Bana ou le destin fatal de Norbert
Zongo, un documentaire de 57 minutes sur l’assassinat du reporter et directeur
de publication de l’Indépendant, Norbert Zongo. A sa sortie le film qui est un
brûlot dérange au Burkina. Ce crime a
suscité une vague d’indignation populaire qui a failli emporter le régime de
Blaise Compaoré. Le film est naturellement refusé par les circuits
traditionnels de distribution que sont les salles de cinéma et les télévisions. Même
les supports DVD ne trouvèrent pas preneurs car les revendeurs avaient peur d’exposer
le film dans leurs magasins ! Devant l’impossibilité de faire voir leur
œuvre dans leur pays, Semfilms naît dans le but d’aider à la réalisation et à
la diffusion de ce cinéma documentaire qui n’est pas à l’abri du boycott des
pouvoirs publics et des circuits habituels de diffusion.
On peut dire que le pari est gagné car en dix ans, cette
structure à but non lucratif a produit plus d’une quinzaine de films qui
abordent des sujets brûlants, qui s’intéressent aux figures politiques dont le
discours contestataire peine à se déployer dans l’espace public et qui met au
grand jour les petites gens en butte aux injustices sociale et politique.
Une thématique sociale
et politique
Ces films développent une thématique variée. On a des films
éminemment politiques comme Borry Bana
et Sur les traces du Lion (2012) du
réalisateur Dimanche Yaméogo. Ce docu suit le capitaine Boukary Kaboré, le
seul officier de l’armée burkinabè et compagnon de Thomas Sankara à s’être
opposé au putsch du 15 octobre 1987 qui a vu l’assassinat du capitaine Thomas
Sankara et la prise du pouvoir par Blaise Compaoré. Face à la version
officielle de la fin de la Révolution d’Août, ce film propose celle d’un
opposant politique qui fut un acteur privilégié de cette époque. Comme pour
dire qu’il faut adjoindre à la version du chasseur celle du lion si l’on veut
connaître la vérité sur les histoires de
chasse. La Guerre des terres d’Aziz Nikiéma pose
le problème du foncier qui, s’il n’est pris à bras le corps par les politiques,
peut être une vraie bombe sociale dans le futur. Face au trafic des
lotissements dans les villes orchestré par des spéculateurs en collusion avec
l’administration et à l’expropriation des paysans de leurs terres par les
agro-businessmen, le film attire l’attention sur la spoliation des paysans
qui peut accoucher d’une jacquerie dans le futur.
En plus des films sur les figures historiques (Boukary
Kaboré, Norbert Zongo, Thomas Sankara, etc.) qui proposent des repères à la
jeunesse africaine, le documentaire s’intéresse aussi aux petites gens qui certes
ne font pas l’Histoire mais dont le quotidien n’est toutefois pas sans
histoire. L’histoire sur leur vie prise
en tenaille entre une société traditionnelle qui les briment et un pouvoir
politique qui les marginalise mérite que l’on s’y attarde. Le Silence des autres(2011) d’Aïssata
Ouarma porte sur l’exode des jeunes filles des campagnes vers la capitale Ouagadougou
où elles font les bonniches, espérant épargner assez d’argent qui pour préparer
sa trousse de mariage, qui pour améliorer l’ordinaire de la famille au village.
Au bout du rêve de ces filles, il y a parfois des tragédies comme les abus
sexuels dans le silence complice des familles qui les accueillent.
Cependant, si le film documentaire s’intéresse à des
problématiques qui sont douloureuses, Semfilms
a conscience qu’à toujours servir des films noirs au public, celui-ci
risque d’en développer la phobie. Même un monochrome noir a besoin de nuances
claires pour accrocher le regard ! C’est pourquoi nombre de films
s’intéressent à des trajectoires heureuses, à des jeunes gens qui, à force de volonté et de travail, se sont
hissés au sommet de leur art. La Volonté
(2004) de Rolande Ouédraogo raconte la vie
l’artiste musicien et sculpteur Pita dont le handicap dû à la
poliomyélite n’a pas freiné la détermination à s’imposer dans les arts plastiques
et la musique. Le documentaire Boum Boum (2012) est un biopic sur le boxeur
burkinabè Boum Boum qui fut champion d’Afrique de boxe. Ce sportif a fait rêver
la jeunesse et vibrer la corde patriotique des
Burkinabè en leur ramenant la ceinture de champion de boxe. Après qu’il
a raccroché ses gants et quitté les lumières des rings, cette ancienne gloire
nationale vit dans l’anonymat et la gêne.
Le film interpelle la nation pour qu’elle soit reconnaissante et généreuse avec
ses fils prodiges ! Il y a parfois de la noirceur dans ces films parce qu’ils
montrent l’injustice et la souffrance mais de la lumière aussi car les sujets sont filmés
sans misérabilisme et dans le respect de leur humanité.
Une esthétique de la
diginité…
La plupart des films produits par Semfilms sont des premières
œuvres de jeunes réalisateurs dont les préoccupations ne sont pas de prime
abord des questions esthétiques. Pourtant il y a au finale une touche
particulière-une esthétique-qui émerge de ces documentaires. Gidéon Vink, qui
est réalisateur et coordonnateur de
Semfilms, reconnait que le développement du numérique a facilité l’immersion dans
le milieu que l’on filme. Auparavant l’arrivée d’une équipe de tournage perturbait
la quiétude des familles filmées. En effet l’arrivée d’une impressionnante file
de voitures vrombissantes, une équipe nombreuse portant des caméras imposantes
et braquant des projecteurs aveuglant sur les sujets à filmer ne favorisaient
pas une relation intimiste avec le sujet. Maintenant, avec un réalisateur et un
cadreur, on s’introduit dans le milieu à côté des personnages du film sans perturber leur quotidien.
Bien que ce cinéma soit plus porté sur des thématiques que
sur des personnages, il est très soucieux des individus qui portent l’histoire.
Aussi on a des films d’une grande
humanité qui révèlent des personnages singuliers dont la parole et le geste emplissent l’écran et
s’imprime durablement dans les mémoires.
Des agoras de diffusion
des docus
Le film documentaire est un film militant. Il doit ouvrir le regard
des spectateurs et les amener à réfléchir sur leur condition, et surtout
réfléchir avec d’autres pour élargir leur spectre de compréhension et de
lecture du réel. Il est donc fondamental d’avoir des espaces de projection, de
diffusion et de débat sur les films documentaires.
En 2004, Semfilms a créé Ouagadougou le festival Ciné Droit Libre qui pendant une semaine réuni des films
du monde entier. Des personnalités qui se sont illustrées dans la lutte pour
les droits humains y sont invitées pour animer des panels et des débats à
partir de films programmés. C’est ainsi que l’épouse du journaliste André
Kieffer disparu en Côte d’Ivoire, l’altermondialiste Aminta Traoré ou le fils de Patrice Lumumba ont été associés
à certaines éditions. Ce festival connaît un engouement et a essaimé de sorte
qu’il y a des festivals Ciné Droit Libre à Abidjan, Nairobi et Dakar.
Toujours dans le sens de mettre les films à la portée de
tous, Semfilms s’est doté en 2012 d’une web-télé, TV Droit Libre, dont le succès (1000000 de vues en moins d’une
année) témoigne de l’utilité. De nombreuses réalisations vidéo et des
reportages sont mis en ligne. Par
ailleurs, il y a des ciné-clubs créés par de jeunes cinéphiles qui se montent dans
les différentes villes du pays et organisent des séances de projections-débats
autour des films.
En somme, Semfilms démontre qu’il est possible avec peu de ressources
et beaucoup d’imagination d’utiliser la puissance du cinéma pour participer à
changer le monde. En créant des conditions de réalisation et de diffusion de
films documentaires sur les injustices
et sur les hommes de bonne volonté qui se battent pour un monde plus juste,
Semfilms amène le plus grand nombre d’hommes à devenir des acteurs du changement social et
politique. Ce cinéma-là en amenant les cinéphiles à prendre conscience de leurs
droits et de leur dignité renoue avec le but que André Malraux assignait à
l’art qui est de « tenter de
donner aux hommes conscience de la grandeur qu’ils ignorent en eux »
Saïdou Alcény BARRY