mercredi 17 juillet 2013

Le Président de Jean-Pierre Bekolo. Que peut le cinéma ?




Jean-Pierre Bekolo a été l’invité d’honneur du Festival Ciné Droit-Libre 2013 de Ouagadougou et son dernier métrage film « Le Président » a ouvert les projections. Ce film évoque la fin du long règne de Paul Biya. Quand le cinéma met les pieds dans le plat de l’actualité politique, que peut-il en advenir ? Le cinéma a-t-il  le pouvoir de changer la société ?
 « Le Président » est né, selon J-P. Bekolo, du constat que le cinéma africain a renoncé à sa vocation politique et à sa capacité prophétique. Il ne se console pas  que le cinéma africain n’ait pas pressenti la montée des contestations populaires de ces dernières années  ni annoncé les printemps arabes. Sans rentrer dans un débat historique, on veut bien savoir quand le cinéma a perdu sa vocation politique. « Les Saignantes » n’est-il pas un film politique ? Toute la filmographie de Ousmane Sembène n’est-elle pas politique ? « Finyé » de Soulemane Cissé n’annonce-t-il pas une décennie avant le massacre des jeunes Maliens en 1991 par la garde prétorienne de Moussa Traoré ? Quid de « Silmandé » de Pierre Yaméogo ? « Africa Paradis » n’est-il pas une nouvelle  Utopia? Le cinéma peut-il être autre que politique ? Du moment où un homme se pique de montrer le réel, il ne peut que le faire d’un certain lieu et il contamine ce réel d’idéologie. Filmer, c’est choisir des êtres et des choses à mettre dans un cadre, c’est une autre façon d’introduire un bulletin dans une urne. On peut discuter du degré d’engagement politique d’un film  qui varie d’un réalisateur à un autre car tout film danse sur le fil rouge de la politique tendu entre deux poteaux que sont le tract et le poème. Tout film cause par conséquent de politique mais la hauteur et la qualité de la voix hésitent entre le bégaiement de l’indécis, le murmure du précautionneux, la vocifération du militant et le chant du poète.
 On peut néanmoins reconnaître qu’il défriche un champ, le terrain brûlant de l’actualité. Ce film s’inscrit dans le « hic et nunc » et  fictionnalise la réalité politique camerounaise sans trop l’altérer. C’est un processus de création qui  arrête la transmutation à mi-chemin. Comme une statue qui prendrait forme tout en restant prisonnière de la pierre. Ici  le crépuscule d’une idole de fiction (Le président) côtoie celui  de Biya à s’y confondre et des personnages de fiction frayent avec un constitutionaliste bien connu.
Aussi la seule question qui vaille est celle-ci : du tract ou du poème, duquel « Le Président » de Jean- Pierre Bekolo est-il  plus proche ?
Indéniablement ce long métrage qui tient du film expérimental, du polar politique et du biopic est une œuvre bien empaquetée. Ce film éclaté est un patchwork de fragments suturés entre eux par la musique. Il est éparpillé à l’image du pays sur lequel règne Paul Biya depuis quatre décennies. La narration  assumée par plusieurs personnages, un vieux prisonnier politique, un bonimenteur de télé-réalité Jo Wodou et une journaliste, tente de dessiner en creux le portrait du vieux président dont le chèche autour de la tête suggère la bandelette de la momie. Mais au lieu que les morceaux de puzzle s’ajustent pour restituer le vrai visage du vieil homme d’Etat, les témoignages qui tressent la fabulation à  la rumeur participent plus à élaboration d’un mythe qu’à la révélation de la vérité. D’ailleurs, le mérite du film qui se veut de dénonciation est d’échapper au manichéisme et à la caricature qui aurait voulu que l’on nous offrît un monstre. Fort heureusement le Président est humain, trop humain. Le voir attabler devant un plat de manioc comme n’importe quel tartempion ou l’entendre confesser à demi-mot son échec dans la conduite du navire Cameroun fait effectivement de lui, un simple mortel. Et installe la possibilité de sa disparition. Sa mort ou ce qui peut être perçu se teinte de  poésie. Ainsi de la pirogue  glissant sur le fleuve, le président et sa première épouse bavardant sous l’œil du rameur est un passage vers l’au-delà qui s’apparente à la traversée du Styx avec un Charon tropical dans un univers édénique. Le ciel est d’un gris azuré, la forêt sur la berge est une muraille aux mille nuances de vert et le fleuve, une nappe miroitante que le passage d’un nuage ombre par moment. De manière générale, bien que le film parle de mort, il se dégage une ambiance solaire. Les artères de Yaoundé grouillent de vie, de couleurs, de bruits et de musique. La ville est pétulante, chaude comme une étreinte. Sans mettre ce film au niveau des « Saignantes », il est plus un cri poétique qu’un slogan politique.
Deuxième question. Qu’apporte ce film au peuple camerounais ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne fera pas plaisir aux caciques du pouvoir qui y verront une insolence d’artiste. Parce que ce film est un poil à gratter, on peut dire qu’il se justifie. René Char disait que ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. Ce film trouble. Donc mérite égards. Néanmoins, son happy end avec une jeune femme du sérail qui prend les rênes du pays est par trop utopique et ne prépare pas les Camerounais à ce qui les attend. Pas besoin d’être Cassandre pour savoir que les longs règnes accouchent de grands désordres. Pour preuve la guinée, la Côte d’Ivoire, l’Egypte…Lorsque le cinéma prétend esquisser l’avenir, il doit délaisser le rose de l’ecstasy hollywoodien pour le rouge et le noir de la tragédie. A moins d’imaginer que la course du jeune homme roulant comme une flèche sur une avenue bordélique dans le dernier plan finisse en hors-champ  entre les roues d’un mastodonte. Le film n’étant pas projeté au Cameroun, donc n’étant pas vu par son public d’élection, il est un cri dans le désert. De profundis Clamavi,  disait le poète.
Ainsi si Bekolo rêvait d’une immense déflagration provoquée par son film, il doit être bien marri. Car si l’œuvre d’art est une étincelle à la recherche d’une poudrière,  sur les routes cabossées du Cameroun, l’étincelle est tombée dans une fondrière.
Question subsidiaire. Est-ce qu’enfin  la nature même du film qui se situe dans l’entre-deux de la fiction et du docu n’affaiblit-il pas la portée du film ? Nul doute que pour les Camerounais, un documentaire aurait eu plus d’impact qu’une fiction  pour leur parler de leur quotidien.
Pour conclure, il y a du réconfort à sentir qu’un artiste est solidaire de la cause du peuple à travers son art mais le seul engagement qui compte reste l’implication citoyenne de l’artiste. Aujourd’hui comme hier, c’est sur le champ de bataille ou  dans la rue et non dans le confort d’un  plateau de cinéma que se gagnent les combats politiques…Alors que peut le cinéma ? Peu de choses. Devant un peuple qu’on dépossède de son futur comme devant un enfant qui meurt, « Le Président » de Jean-Pierre Bekolo tout comme La Nausée de Sartre ne fait pas le poids…
Saïdou Alcény BARRY

1 commentaire:

  1. Hum! Où peut-on trouver la trace d'où jaillira l'étincelle? Le cinéaste comme le révolté qui qui s'immole ne le savent pas. En tout cas, c'est très bien écrit.

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