vendredi 16 août 2013

Le Président de jean-Pierre Bekolo : la critique selon Saint-Jean…Bekolo


   
Cet écrit n’est  pas un vade-mecum de  principes critique du réalisateur camerounais, simplement la sortie pleine d’acrimonie du réalisateur sur la critique africaine nous permet de questionner la place et le rôle du critique des cinémas d’Afrique.
Au prétexte que son dernier film a été censuré au Cameroun et que la critique serait resté de marbre, le réalisateur camerounais a rompu des lances avec les critiques de son pays et sur ceux d’Afrique en les accusant de mettre leur plumes au service de leur ventre. On s’attendait à une réponse conséquente de critiques camerounais ou de la Fédération africaine des critiques de  cinéma (FACC) mais on a eu droit à…un assourdissant silence. Que ce mutisme traduise leur refus d’entrer dans une polémique qu’ils jugent vaine ou  leur frilosité (ce qui est plus probable) à entrer dans l’arène du débat sur leur pratique, il est, dans tous les cas, révélateur de l’apathie de la critique. Peut-il d’ailleurs en être autrement sachant que la critique se nourrit de films or  le cinéma africain est exsangue. L’existence de ce cinéma relève plus de la foi que de la réalité car il est le seul cinéma au monde qui n’est pas adossé à une industrie cinématographique, dont les salles ferment les unes après les autres, et qui demeure tributaire des aides de la coopération. Comment, dans de telles conditions, il peut s’élaborer un discours  sur un tel objet  problématique et fantomatique ? Si la critique est l’ombre du cinéma, il faut du reste que ce cinéma ne soit pas une ombre ! Cette ruade du réalisateur camerounais a l’intérêt de poser des questions fondamentales sur ce que devrait être la critique de cinéma dans le contexte africain.
La critique de cinéma africain n’est pas une mais  plurielle et la classification de Thibaudet pour la critique littéraire au 19 siècle vaut pour la critique de cinéma actuelle. Thibaudet énumérait trois catégories : la critique des universitaires, la critique parlée que nous considérons aujourd’hui comme la critique de la presse (journaux et blogs) et la critique des auteurs. Au niveau de la critique africaine, on retrouve ces trois catégories mais celle qui reçoit une volée de bois vert de la part de Bekolo est certainement la critique de presse parce que c’est elle qui traite de l’actualité cinématographique, elle qui peut être prescriptive et promotionnelle. De cette critique de journalistes, le réalisateur  attendait certainement de l’accompagnement dans la promotion du film. Il faut dire, à sa décharge, que la critique africaine a habitué une certaine catégorie de cinéastes africains  à une critique d’admiration et de louange qui flatte leur égo. C’est fort de ne pas entendre un chorus de youyous sur son dernier film qu’il fulmine contre les critiques. Un critique, fut-ce un journaliste au ventre vide, n’est pas un attaché de presse et la critique n’est pas le boniment d’un VRP de films. Ce qui nous amène à la question de savoir ce que peut être la critique africaine.
La Facc est un regroupement hétéroclite de fonctionnaires de ministère de la culture, d’étudiants, de Français amoureux du cinéma africain, de journalistes culturels, d’universitaires, des hommes de cinéma. Cette pluralité aurait pu faire la richesse de la critique si les échanges intellectuels étaient vivants, si les débats sur les théories et les approches du cinéma avaient lieu et si l’exercice critique n’était pour la plupart des membres qu’une pratique épisodique liée aux festivals dont ils sont les invités. Il arrive pourtant que les critiques se réveillent de leur hibernation et on assiste alors à une inflation d’écrits sur la toile. Malheureusement, cette surproduction est toujours subséquente à la perte par la corporation ou par le monde du 7ème  art d’un de ses membres. Ce qui est louable mais il aurait fallu aussi que la naissance d’un film dégelât tout autant les poignets des critiques et les remît à l’écritoire mais, hélas une sortie de film ne fait pas toujours phosphorer ces critiques. Si ce tarissement de la réflexion ou cette défaite de la pensée est regrettable, elle n’est pas spécifique aux critiques de cinéma ; elle ressortit à un contexte plus général des élites africaines qui préfèrent de plus en plus consommer du prêt-à-penser que d’en produire. L’ambition des pionniers tels Paulin Soumanou Vieyra de fonder une critique véritablement africaine semble s’être perdue en chemin faute de continuateurs…
Si le gain est maigre, il y a tout de même des circonstances atténuantes. Le contexte est difficile et ne permet pas à un discours critique (libre dans son essence) de se déployer  dans des pays où la liberté d’expression est inscrite dans les constitutions mais proscrite dans les actes.  « La liberté d’expression est reconnue mais gare à qui s’en sert » menaçait un chef d’Etat.  A la question « d’où elle parle ? » la critique africaine, hormis celle de la diaspora, répond qu’elle  se tient sur un terrain glissant. Aussi une critique flatteuse (donc paresseuse) pourrait participer d’une stratégie de (sur)vie auprès des institutions politiques, des festivals et des cinéastes mais à trop y sacrifier, le critique africain risque d’y laisser son âme.
Cette critique africaine, bien que vieille d’un demi-siècle, est toujours en construction, cherche à se consolider, à exister. Il est par conséquent nécessaire qu’elle s’affirme en osant un discours de vérité sur les films car ce n’est ni en flattant l’égo des réalisateurs, ni en criant au chef-d’œuvre à chaque sortie de film qu’elle aidera le cinéma à grandir ou qu’elle gagnera en légitimité auprès de son lectorat. Bien au contraire. Toute critique qui n’écrit pas ses goûts et ses dégoûts, ses admirations et ses détestations est claudicante, hémiplégique, lobotomisée.
Dans ce tableau qui peut paraître sombre du premier regard, il y a cependant des lueurs comme une poignée d’étoiles semées  dans ce ciel d’encre. Il n’y a, dès lors, pas lieu de désespérer de la critique africaine. La femme est l’avenir de l’homme disait le poète, elle l’est assurément dans la critique africaine où se lève une armée d’amazones, Narjes Torchani de Tunisie, Djia Mambu du RD.Congo, Stéphanie Dogmo et Pélagie  Ng'onana du Cameroun, la locomotive Burkinabè Claire Diao. A travers leurs blogs et leurs écrits, elles s’imposent comme les meilleures plumes de la critique des cinémas d’Afrique. Que font donc les hommes de la FACC ? Mystère et boule de gomme…
Saïdou Alcény BARRY

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