Cet écrit n’est pas un vade-mecum de principes critique du réalisateur camerounais,
simplement la sortie pleine d’acrimonie du réalisateur sur la critique
africaine nous permet de questionner la place et le rôle du critique des cinémas
d’Afrique.
Au prétexte que son dernier film a été censuré au Cameroun et
que la critique serait resté de marbre, le réalisateur camerounais a rompu des
lances avec les critiques de son pays et sur ceux d’Afrique en les accusant de
mettre leur plumes au service de leur ventre. On s’attendait à une réponse
conséquente de critiques camerounais ou de la Fédération africaine des
critiques de cinéma (FACC) mais on a eu
droit à…un assourdissant silence. Que ce mutisme traduise leur refus d’entrer
dans une polémique qu’ils jugent vaine ou
leur frilosité (ce qui est plus probable) à entrer dans l’arène du débat
sur leur pratique, il est, dans tous les cas, révélateur de l’apathie de la
critique. Peut-il d’ailleurs en être autrement sachant que la critique se
nourrit de films or le cinéma africain
est exsangue. L’existence de ce cinéma relève plus de la foi que de la réalité
car il est le seul cinéma au monde qui n’est pas adossé à une industrie
cinématographique, dont les salles ferment les unes après les autres, et qui
demeure tributaire des aides de la coopération. Comment, dans de telles
conditions, il peut s’élaborer un discours sur un tel objet problématique et
fantomatique ? Si la critique est l’ombre du cinéma, il faut du reste que
ce cinéma ne soit pas une ombre ! Cette ruade du réalisateur camerounais a
l’intérêt de poser des questions fondamentales sur ce que devrait être la
critique de cinéma dans le contexte africain.
La critique de cinéma africain n’est pas une mais plurielle et la classification de Thibaudet
pour la critique littéraire au 19 siècle vaut pour la critique de cinéma
actuelle. Thibaudet énumérait trois catégories : la critique des
universitaires, la critique parlée que nous considérons aujourd’hui comme la
critique de la presse (journaux et blogs) et la critique des auteurs. Au niveau
de la critique africaine, on retrouve ces trois catégories mais celle qui reçoit
une volée de bois vert de la part de Bekolo est certainement la critique de
presse parce que c’est elle qui traite de l’actualité cinématographique, elle qui
peut être prescriptive et promotionnelle. De cette critique de journalistes, le
réalisateur attendait certainement de l’accompagnement
dans la promotion du film. Il faut dire, à sa décharge, que la critique
africaine a habitué une certaine catégorie de cinéastes africains à une critique d’admiration et de louange qui
flatte leur égo. C’est fort de ne pas entendre un chorus de youyous sur son
dernier film qu’il fulmine contre les critiques. Un critique, fut-ce un
journaliste au ventre vide, n’est pas un attaché de presse et la critique n’est
pas le boniment d’un VRP de films. Ce qui nous amène à la question de savoir ce
que peut être la critique africaine.
La Facc est un regroupement hétéroclite de fonctionnaires de
ministère de la culture, d’étudiants, de Français amoureux du cinéma africain,
de journalistes culturels, d’universitaires, des hommes de cinéma. Cette
pluralité aurait pu faire la richesse de la critique si les échanges
intellectuels étaient vivants, si les débats sur les théories et les approches du
cinéma avaient lieu et si l’exercice critique n’était pour la plupart des
membres qu’une pratique épisodique liée aux festivals dont ils sont les
invités. Il arrive pourtant que les critiques se réveillent de leur hibernation
et on assiste alors à une inflation d’écrits sur la toile. Malheureusement,
cette surproduction est toujours subséquente à la perte par la corporation ou par
le monde du 7ème art d’un de
ses membres. Ce qui est louable mais il aurait fallu aussi que la naissance
d’un film dégelât tout autant les poignets des critiques et les remît à
l’écritoire mais, hélas une sortie de film ne fait pas toujours phosphorer ces
critiques. Si ce tarissement de la réflexion ou cette défaite de la pensée est
regrettable, elle n’est pas spécifique aux critiques de cinéma ; elle
ressortit à un contexte plus général des élites africaines qui préfèrent
de plus en plus consommer du prêt-à-penser que d’en produire. L’ambition des
pionniers tels Paulin Soumanou Vieyra de fonder une critique véritablement
africaine semble s’être perdue en chemin faute de continuateurs…
Si le gain est maigre, il y a tout de même des circonstances atténuantes.
Le contexte est difficile et ne permet pas à un discours critique (libre dans
son essence) de se déployer dans des
pays où la liberté d’expression est inscrite dans les constitutions mais
proscrite dans les actes. « La liberté
d’expression est reconnue mais gare à qui s’en sert » menaçait un chef
d’Etat. A la question « d’où elle
parle ? » la critique africaine, hormis celle de la diaspora, répond
qu’elle se tient sur un terrain
glissant. Aussi une critique flatteuse (donc paresseuse) pourrait participer
d’une stratégie de (sur)vie auprès des institutions politiques, des festivals
et des cinéastes mais à trop y sacrifier, le critique africain risque d’y
laisser son âme.
Cette critique africaine, bien que vieille d’un demi-siècle,
est toujours en construction, cherche à se consolider, à exister. Il est par
conséquent nécessaire qu’elle s’affirme en osant un discours de vérité sur les
films car ce n’est ni en flattant l’égo des réalisateurs, ni en criant au
chef-d’œuvre à chaque sortie de film qu’elle aidera le cinéma à grandir ou
qu’elle gagnera en légitimité auprès de son lectorat. Bien au contraire. Toute
critique qui n’écrit pas ses goûts et ses dégoûts, ses admirations et ses
détestations est claudicante, hémiplégique, lobotomisée.
Dans ce tableau qui peut paraître sombre du premier regard,
il y a cependant des lueurs comme une poignée d’étoiles semées dans ce ciel d’encre. Il n’y a, dès lors, pas
lieu de désespérer de la critique africaine. La femme est l’avenir de l’homme disait le poète, elle l’est
assurément dans la critique africaine où se lève une armée d’amazones, Narjes
Torchani de Tunisie, Djia Mambu du RD.Congo, Stéphanie Dogmo et Pélagie Ng'onana du Cameroun, la locomotive Burkinabè Claire
Diao. A travers leurs blogs et leurs écrits, elles s’imposent comme les
meilleures plumes de la critique des cinémas d’Afrique. Que font donc les
hommes de la FACC ? Mystère et boule
de gomme…
Saïdou Alcény BARRY
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