mercredi 29 mai 2013

“L’affaire Chebeya de Thierry Michel : Un sujet sensible et dangereux ?




  

« Mobutu, Roi du Zaïre », « Congo River », « Katanga Business », « L’affaire Chebeya, un crime d’Etat ?», «L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi »… Les films de Thierry Michel, réalisateur belge, sur la République démocratique du Congo ne se comptent plus. Et ses documentaires dérangent souvent les autorités congolaises, particulièrement celui qui évoque l’assassinat de Floribert Chebeya, militant des droits de l’homme et président de l’ONG La Voix des Sans-Voix, retrouvé mort dans son véhicule le 2 juin 2010. Le temps d’un entretien, le réalisateur belge a bien voulu expliquer son addiction pour  ce pays. Il fait des révélations sur la mort de Chebeya dont les meurtriers courent toujours. Exclusif !

 Pourquoi cette fascination pour de la RD Congo ?

C’est une passion pour l’histoire d’un grand pays africain francophone qui nous est accessible. C’est une ancienne colonie belge. L’histoire est donc plus proche de la Belgique qu’elle ne peut l’être pour d’autres pays comme la France. Et c’est un pays qui a connu des tumultes invraisemblables depuis plus de vingt ans, avec la chute du dictateur Mobuto Sese Seko, les deux guerres qui ont suivi l’accession au pouvoir de Laurent Désiré Kabila, son assassinat et l’arrivée de son fils au pouvoir. Aujourd’hui, il y a une nouvelle guerre à l’est, sans oublier l’incroyable richesse de ce pays qui est un scandale géologique, un véritable coffre-fort de matières premières pour l’humanité. Ainsi que la guerre économique sans merci que vivent les puissances du monde qu’elles soient orientales ou occidentales. Cela va de la Chine aux Etats-Unis. Il y a donc beaucoup de facteurs qui donnent un aspect passionnant à l’histoire de ce pays. Et j’en suis devenu le chroniqueur même si je réalise des films sur d’autres pays. Mais, c’est un lieu privilégié où je fais des films quand je peux le faire.

 N’empêche, le Congo est aussi un terrain difficile pour le réalisateur belge que vous êtes…

Effectivement. Pour la deuxième fois de ma carrière, j’ai été arrêté dans ce pays, expulsé puis interdit de visa.

Justement, qu’est-ce qui vous a motivé à faire un film sur un sujet aussi sensible que l’affaire Chebeya ?

Je l’avoue, c’est un sujet sensible et dangereux. Mais, journalistiquement c’était intéressant. C’est ce qui m’a motivé à faire ce film. De plus, il était extrêmement important de se rendre qu’en RD Congo où, sur une même législature, c’est-à-dire durant les cinq dernières années qu’a passées au pouvoir le président Joseph Désiré Kabila, huit journalistes avaient été assassinés. C’est beaucoup trop. Et au-delà de ces huit journalistes, voilà qu’on assassinait le leader de la société civile, le pionnier des fondateurs des organisations de défense des droits de l’homme en RD Congo qui avait courageusement déjà affronté la dictature de Mobuto, et était en butte avec l’hostilité du régime. En tant que défenseur des droits de l’homme, il se devait de dénoncer tous les manquements à l’état de droit qui pouvaient se passer dans ce pays. Pour moi, Floribert Chebeya est le Martin Luther King de la cause congolaise. Je le connaissais bien et j’avais beaucoup de respect pour lui. Je ne pouvais donc pas ne pas faire un film sur sa fin tragique et surtout sur ce procès historique qui a eu lieu en RD Congo, le deuxième le plus important de l’histoire post indépendantiste de ce pays, après bien sûr celui des assassins du Président Laurent Désiré Kabila. Ce procès a duré huit mois et a eu un retentissement international invraisemblable. Cette histoire est en même temps une tragédie et une comédie politique. Durant ce procès, on dit qu’on cherche la vérité, les assassins et les commanditaires du crime et en même temps, on ne les cherche pas tout à fait parce qu’il y a des intouchables qui sont dans l’impunité et ne peuvent pas être poursuivis à cause de leur statut, de leur réseau et de leur puissance militaire.

Le film plonge le spectateur au cœur du procès des présumés auteurs du crime et leurs commanditaires. Ça a été facile pour vous d’obtenir l’autorisation de filmer au tribunal militaire ?

J’avais un visa de résident permanent et une autorisation de filmer. J’avais aussi une accréditation de journaliste permanent. Je n’avais donc pas une autorisation spéciale. Au niveau du tournage, je l’avoue, j’ai eu une grande liberté. Ce qui a été étonnant car une fois le film fait, alors qu’il devait être projeté à l’invitation de la société civile congolaise et des chancelleries occidentales, j’ai été arrêté peu après mon arrivée (à Kinshasa) et expulsé du pays. Mon statut de résident a même été annulé. C’était en juillet 2012. Et quand je suis rentré en Belgique, j’ai eu droit à un procès intenté contre moi par le Chef de la police congolaise, le Général John Numbi. Naturellement, il a perdu parce que nous sommes dans un Etat de droit en Occident. Il ne pouvait pas évoquer son droit à l’image pour empêcher la diffusion d’un film sur un assassinat ciblé dans un pays d’Afrique. J’ai donc été victime de ces atteintes à la liberté de la presse et d’expression.

  

N’est-ce pas paradoxal qu’on vous laisse filmer le procès et qu’après on interdise le film ? 
Cela paraît effectivement paradoxal mais, en fait, ça ne l’est pas. Parce que la situation a changé. J’ai filmé le procès avant les élections. Et le procès était sous une pression invraisemblable. Si bien que les autorités congolaises étaient obligées de le faire, et, en plus, public. A chaque audience, il y avait des représentants chancelleries occidentales. Il y avait donc une exigence de la communauté internationale qui était prête à aider le pays, à soutenir le fait que le Sommet international de la Francophonie se tienne à Kinshasa (ndlr, il s’agit du XIVème Sommet qui a eu lieu du 13 au 14 octobre 2012) mais avec un minimum de respect des droits de l’homme. Il y avait donc des conditionnalités. En ce moment-là, les autorités congolaises ont voulu donner une bonne image. En même temps, le procès a révélé de nombreux mensonges d’Etat, entre autres des détournements, des falsifications de preuves, de listings téléphoniques qui ont altéré l’image du pouvoir et de la police. Donc une fois le film fait, ils se sont rendu compte qu’il se retournait contre eux, que les lacunes du procès avaient été mises en avant pas, par le film mais par la procédure. Et d’autres choses, une fois les élections terminées, les données avaient un peu changé. Le pouvoir les avait gagnées, pour les cinq prochaines années. Il n’avait donc plus de garantie à donner à la communauté internationale. Du coup, les cartes ont changé de mains.


Au-delà du film, pensez-vous sincèrement que la vérité sur la mort de Floribert Chebeya éclatera au grand jour ?

J’ai essayé de contribuer à la manifestation de cette vérité. Puisque j’ai continué les investigations une fois le film terminé. Et j’ai réussi à retrouver un des témoins clés de cette affaire, en l’occurrence le Major Paul Mwilambwe l’un des trois militaires en fuite à l’étranger et qui est considéré comme l’un des assassins de Floribert Chebeya, et qui a été condamné par contumace à la peine capitale par la cour militaire. Il a donné son témoignage. En effet, il a dit qu’il n’était pas un exécuteur mais plutôt un témoin. Il a vu comment Floribert Chebeya a été étouffé par des sacs en plastique avec du scotch pour l’empêcher de respirer. Il a eu une agonie assez longue de 25 minutes. Il a expliqué aussi comment le corps a été transporté et déposé là où on l’a trouvé. Il a également dit comment son chauffeur a été tué et où son corps a été enterré, pour faire disparaître les preuves, il a donné de nombreux détails. C’est un homme des services de la sûreté qui a été formé pour le compte de la police congolaise par les services du président Moubarak en Egypte. Tous ces éléments, je les ai empilés et remis à la justice congolaise. Et j’avoue que je suis très surpris qu’on n’ait rien pris en compte dans ce qu’il a dit. On n’a même pas été voir la parcelle de terrain du Général Numbi où le corps du chauffeur a été enterré et dont il a donné le plan précis. En six mois, il n’y a même pas eu la moindre tentative d’aller vérifier cela. Ce sont des signes qui montrent qu’il y a une volonté d’empêcher la vérité de surgir et que justice se fasse. Donc, on a de grands doutes même si les avocats espèrent encore que le droit se dise au Congo. Si ce n’est pas le cas, ils devront aller devant les instances internationales. Ce sera l’ultime recours. Aujourd’hui, il y a peu de grands criminels d’Etat qui échappent encore aux juridictions internationales. Où se trouvent Laurent Gbagbo et Jean Pierre Bemba ? Ils sont en prison en Hollande. Je pense qu’à vouloir étouffer la vérité, on ne fait que retarder les échéances où la justice pourra rendre son honneur, sa dignité aux familles des victimes, qui non seulement ont perdu un être cher, mais aussi ont été l’objet de tracasseries. Les familles de Floribert Chebeya et de son chauffeur ont été contraintes à fuir en exil pour se protéger.

La fin du film semble ouverte. Doit-on s’attendre à une suite ?

C’est ce que j’ai fait avec l’interview du Major Mwilambwé. J’ai rendu le son public mais pas l’image. Il y a donc une suite mais elle n’est pas dans le film. Elle est plutôt journalistique.


Et pour l’écran ?
Ça demande trop de moyens et beaucoup de risques financiers. Je me suis endetté pour faire ce film et, on a des obstacles. Parce qu’il n’est pas diffusé sur beaucoup de chaînes de télévision. Les chaînes françaises ne l’ont pas fait. Et TV5 Monde, vu l’interdiction du film en RD Congo, n’ose pas le diffuser. CFI (Canal France International) non plus. C’est donc très difficile. Malheureusement, le cinéma demande des moyens économiques pour réaliser des oeuvres de ce genre. Quand il n’y a pas le budget, il n’y a pas le budget. On le fait avec la plume, le micro et éventuellement l’Internet.

Est-ce pour cela que votre prochain film sur le Moïse Katumbi (Gouverneur du Katanga et Président du TP Mazembé) est moins dérangeant ?

Moins dérangeant ? On le verra quand le film sortira. C’est le film qui était prévu et non celui sur l’affaire Chebeya. C’est l’événement qui a créé le film sur Chebeya. J’ai donc dû interrompre le documentaire sur Katumbi pour faire celui sur Chebeya. Cela dit, je ne crois pas qu’il soit moins dérangeant que les autres. La preuve, si vous allez sur Internet, vous trouverez des menaces me concernant. Notamment, la Voix des jeunes Katangais qui annoncent qu’ils vont empêcher par tous les moyens la diffusion du film. Il y a eu des intimidations sur les gens qui ont pris la parole dans le film. Il en y a d’autres qui sont des repentis. Ce film n’est pas une ode à la gloire du gouverneur. Il essaie plutôt de montrer ses systèmes, sa réussite économique, sportive, médiatique, financière et aussi des choses qui sont moins claires et parfois des formes d’abus de pouvoir. Je ne suis pas jamais complaisant avec le pouvoir. Donc ne je ne vais pas plus faire plaisir au pouvoir avec ce film que les précédents.

Justement, comment a-t-il réagi ?

Pas trop bien. Mais, je pense qu’il a cette capacité d’accepter la critique que les autres n’ont pas. Il peut mal vivre la critique dans un premier temps. Parce qu’un homme du pouvoir en Afrique n’aime pas être critiqué. Mais, après s’il prend bien conscience du statut d’un vrai homme d’Etat, il doit accepter d’être l’objet de critique et de débat démocratique.


Réalisée à Ouagadougou par Yacouba Sangaré pendant le Fespaco2013

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